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Clic, clac, silence. Contrairement à Ella, Silke suivait le cours.

Du moins elle essayait.

Clic, clac, silence. Le fermoir de son bic qui claquait dans le vide. La voix du prof portait loin, mais Silke n'en percevait qu'un murmure confus, comme si elle était brouillée par la chaleur et le bourdonnement du ventilateur. Alors elle tâchait de faire mine d'écouter, pour qu'au moins la sensation de danger qui la harcelait depuis dix jours soit réduite à un élément d'arrière-plan. Qu'elle se concentre sur autre chose que ça.

Clic, clac, silence. Encore du silence.

Silke jeta un coup d'œil à Ella. Cambrée en avant, menton dans la main, regard ostensiblement vague. En un silence et trois mouvements de sourcils, Silke avait appris que le projet tenait toujours debout. Non pas que ça l'angoisse. Mais il y avait cette sensation, ce pressentiment...

— Une impression de danger ?, avait répété Ella, incrédule, quand elle lui avait fait part de ses doutes, une semaine avant ce jour.

Silke avait aussitôt regretté de les lui avoir dit. Mais pas longtemps, parce que la réponse avait fait encore plus mal.

— Tu ne dois pas avoir peur, pour ce qui est arrivé à ta mère, Silke.

C'était quoi, qui l'avait le plus choqué ? Le ton faussement compatissant, peut-être. Ou simplement le fait qu'Ella était sa meilleure amie. Il y avait eu un long silence, après. Encore un autre silence. La vie de Silke était remplie de silence.

Oh, non. Elle était censé éviter de penser à tout ça. Mais trop tard. La sensation était revenue. Silke jeta un coup d'œil par la fenêtre. Les toits de la ville, familiers, rassurants. Les rues pavées qu'elle connaissait par cœur. Et puis la forêt, les cimes immobiles sous la chaleur de juillet. Elle passait devant tout les matins, et entendait toujours... elle ne savait pas trop quoi. Des craquements, des chuchotements de branches. L'air lourd semblait rendre les bruits opaques. La sensation était là. Fuir. Il fallait fuir.

Mais sa mère... sa mère avait encore avait encore pleuré ce matin.

Elle avait pleuré ; mais pas pour des raisons qui claquent à la fin des phrases comme un défi au monde entier.

Non, la mère d'Ella avait pleuré parce que quelqu'un était mort dans la forêt, il y a trois ans.

Quelqu'un qu'elle ne connaissait même pas.

Silke regarda à nouveau Ella. Dans moins d'une heure, elle la suivrait dans la forêt. Et alors, elle ne pourrait pas fuir. Tout ce que faisait Ella, elle devait le faire, c'était plus fort qu'elle.

La sonnerie brisa le file de ses pensées. C'était une nouvelle alarme, pour lui rappeler que l'échéance avant que son pied ne touche la terre de la Forêt-Noire se comptait en minutes maintenant.

Cinq secondes pour que tout le monde comprenne. Puis les gens commencèrent à se lever, rendus hagard par la chaleur, la torpeur lourde de l'été allemand.

Silke regarda Ethan, Diether et Cacilia. Et Ella. Ils ne se levaient pas en même temps que les autres. Ils attendaient. Ils savaient.

Silke passa la main sur son front moite. Ils attendaient. Ils savaient. C'était quoi, ces speechs de film d'horreur ? On se calme, Silke. On est pas dans un conte d'Hoffman.

Hoffman. Il ne faudrait pas citer Hoffman devant les autres. Fais pas ta chieuse, lui avait dit Ella. C'était plus que ça. N'ait pas l'air intelligente, ça ne rentre pas dans mon plan. Je ne suis pas intelligente, lui aurait répondu Silke si elle avait eu un peu plus de tripes. Sauf que Silke était juste une intello coincée, prête à tout pour garder sa place de meilleure amie d'Ella. Le pire, c'est qu'elle le savait. Mais elle ne pouvait pas se passer d'Ella. Ella était son tout, depuis toujours.

Ella avait toujours des mouvements lents, félins. Une voix rauque et caressante. Quand elle bougeait, c'était comme une danse, une valse de peau mate et veloutée, tendue sur des membres souples. Elle attirait Silke. C'était plus fort qu'elle.

Garder ses secrets, juste pour pouvoir admirer tout ce qu'elle avait de parfait. Son être entier.

Pour Ella, elle aurait tout fait.

Silke secoua à nouveau la tête. Il ne s'était même pas passé dix nouvelles secondes. Et encore ces phrases de thriller. Elle admirait Ella, d'accord. Mais c'était tout. Elle gardait toujours une ironie distante, pour paraître cool. D'ailleurs, elle savait précisément à quelles traits d'humour riait Ella.

Mais ce soir, elle ne rirait probablement pas. Trop tendue. Elle voulait que tout soit parfait, Silke le savait.

Mais c'était tout ce qu'elle savait.

HIDDENOù les histoires vivent. Découvrez maintenant