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— J'ai lu quelque chose d'intéressant, sur le mal.

Pour qu'Ella veule rester avec Cacilia, et laisser tomber définitivement cette idiote de Silke, il fallait que Cacilia ait l'air intelligente, importante. Elle devait quitter ce rôle de suiveuse. Devenir une fille vraiment cool. Étaler un fait divers de son père, pourquoi pas ?

— Quand une personne fait du mal, c'est souvent qu'elle a elle-même mal.

À ses côtés, Ella se raidit.

— Et tu trouves ça intéressant ?

Aïe. C'était raté. Raté. Raté. Les branchages au-dessus de sa tête sifflaient méchamment, les aiguilles craquaient sous ses baskets. Elle avait tout raté. Ça lui ferait encore des regrets à ressasser dans son lit, le soir, pendant des années et des années.

Cacilia vivait avec des regrets. Elle n'arrivait pas à s'en détacher. Elle n'arrivait pas à laisser couler, à être une de ces filles cools qu'elle regardait dans le miroir des toilettes en se demandant pourquoi elle n'arrivait pas à leur ressembler.

Ethan, devant, s'était arrêté, comme pour assister à son humiliation. Les larmes lui piquaient les yeux, comme l'odeur entêtante des sapins.

Ella trancha la question du mal d'une voix plus sèche que voluptueuse.

— C'est juste une théorie débile. Dépassée. Allez, on avance.

Elle doubla Cacilia, Ethan, et continua sur le chemin. Cacilia resta interdite. Tout s'était passé si vite... trop vite pour elle. Le monde allait trop vite. Elle vivrait dans ce regret-là, encore et encore.

— Hé.

Ethan s'était approché d'elle et avait posé la main sur son épaule. Il était un peu plus grand qu'elle, sentait le cuir de sa veste et le vieux bois. Cacilia en arrêta de respirer.

— Tu trouves pas ça bizarre ?

— Quoi ?

— Ella. Elle... - il eut une hésitation - est toujours ultra déterminée, et là, elle se... rengorge, c'est... - il claqua la langue à la recherche d'un qualificatif approprié - bizarre.

Cacilia aurait dû se récrier. Bien fort. Pour qu'Ella l'entende. Le traiter de chelou. Mais elle en avait marre d'être la fille qui tente toujours de plaire aux cools dans les toilettes.

La forêt abolissait la différence entre Ella et elle.

Après tout, tous les enfants sont effrayés par le noir, non ?

Et elle ne vivrait pas avec un regret de plus.

— Oui, c'est bizarre. En fait, si tu veux mon avis, c'est bizarre de nous avoir envoyé ce message, de nous avoir fait venir ici... tu trouves pas ?

Le brun doux de ses yeux se noircit un peu. Comme une ombre secrète qui gagnait du terrain.

— Pourquoi tu l'a suivie, alors ?

Cacilia ne pensait plus au passé, et l'euphorie des regrets qu'elle n'aurait pas en disant la vérité à Ethan allumait un feu réconfortant dans son ventre. Elle était invincible. Il suffit de faire des choix, au lieu de ressasser les chemins qu'on a pas pris.

— Pour être honnête ? Parce que c'est Ella. Et parce qu'on était un groupe... ensemble. J'avais peur des regards... envie d'être vue avec elle...

Sa gorge se serra. En avait-elle trop dit ?

— Les autres, hein.... susurra Ethan. C'est ça... la Dame ne peut jouer qu'avec toutes les pièces.

Elle plissa le front.

— De quoi tu parles ?

Il la fixa si intensément qu'elle recula.

— Je crois qu'Ella est dangereuse, Cacilia. Mais je ne sais pas, pas encore. Elle est partie quand tu parlais... du mal ?

Alors Cacilia sut qu'elle détenait quelque chose. Voilà ce qui l'avait choqué, plus que la sensation d'avoir échouée à être amie avec Ella. Le fait qu'elle soit partie, elle qui était d'ordinaire si hautaine, comme planant au dessus d'elle. Elle avait été déesse, elle redevenait humaine.

Quelque chose l'avait sortie de sa douce cruauté habituelle. Quelque chose...

— Je ne parlais pas du mal, Ethan. Je parlais d'avoir mal.

HIDDENOù les histoires vivent. Découvrez maintenant