— Un seul vin chaud ou deux messieurs dames ?
— Deux, s'il vous plait.
Je sers généreusement le fameux breuvage à mes clients et leur propose d'accompagner leur boisson d'un morceau de pain d'épice. En cette fin d'octobre, le temps s'est bien rafraichi et les touristes apprécient l'arrivée des douceurs d'hiver. Même si elles m'avaient manqué, le froid qui va avec ne m'enchante guère.
Cela fait presque un mois que je suis revenue de ma mission humanitaire au Sénégal. Après trois ans passés là-bas, ce retour m'est plus que difficile. J'ai beau avoir vécu toute mon enfance ici, à Montgenèvre en plein cœur des Alpes, je n'ai jamais pu m'habituer aux basses températures. Alors après tant de temps en Afrique, je ne sais pas comment je vais pouvoir survivre à cet hiver.
— Edwige ?
Je me retourne vers ma sœur, Maud, qui comme moi est derrière le comptoir. Depuis quelques années, elle a repris une boutique de produits locaux. Saucissons, fromages, confitures, gâteaux...rien ne manque. Mon retour coïncide parfaitement avec le début de la haute saison, elle n'a donc pas cherché à embaucher de nouvelles personnes en plus d'Élise, son employé à plein temps, pour le moment. Ne sachant toujours pas quoi faire de ma vie à vingt-sept ans, j'ai la chance de pouvoir compter sur ma sœur.
Avant ma mission humanitaire, j'ai validé un master en langues étrangères. Je parle ainsi couramment anglais, allemand et espagnol, mais je me suis également spécialisée dans différents dialectes d'Afrique. À cette époque, j'étais perdue. J'hésitais entre continuer mes études ou me trouver un « vrai » travail. Le problème, c'était que me retrouver derrière un bureau ne m'enchantait pas. N'arrivant pas à me décider, j'ai préféré approfondir mes connaissances, et l'immersion dans le peuple sénégalais m'a paru la meilleure solution pour parfaire mon Wolof la langue locale, en plus de me laisser du temps pour décider de mon avenir.
— Oui ? Tu as besoin de quelque chose ? interrogé-je ma sœur.
— Je ne me sens pas très bien, je peux te laisser seule quelques minutes ?
C'est vrai qu'elle a perdu de ses couleurs, je m'inquiète aussitôt. Même si elle a dépassé le stade fatidique des trois mois de grossesse, je préfère la savoir en forme et en bonne santé.
— Oui, pas de problème, mais qu'est-ce qui ne va pas ?
— Je ne sais pas. Un coup de chaud je crois. Je vais aller m'assoir et ça devrait aller. Je vais dire à Jonathan de te rejoindre.
— Comme tu veux, mais il peut rester avec toi si besoin.
Jonathan est mon beau-frère. Il s'occupe principalement de la paperasse du magasin, mais n'hésite pas à venir nous aider en caisse en cas de forte affluence. Je rends la monnaie d'un second client après le départ de ma sœur, quand il accourt vers moi, catastrophé.
— Edwige ? On peut te laisser la boutique ? Maud à mal au ventre comme si elle avait des contractions. Elle pense que ça va passer, mais je préfère qu'on aille vérifier aux urgences.
— Ou...oui. Bien sûr, allez-y. Ne vous inquiétez pas pour moi.
— Sûre ? Je peux demander à Élise de venir t'aider si tu veux ?
— Non, non, allez-y, ne perdez pas de temps. Il ne reste qu'une heure avant de fermer et il n'y a pas tant de passage que ça ce soir.
— Merci. On te tient au courant. Je te laisse les clefs de la voiture de Maud en salle de repos.
Il rebrousse chemin à grandes enjambés vers l'arrière du magasin pour rejoindre ma sœur, qui je suppose, l'attend dans son véhicule.
Je passe la dernière heure de travail un peu ailleurs, espérant que rien de grave n'arrive à Maud ou son bébé. Cela faisait presque deux ans qu'ils essayaient de faire un mini-eux lorsque le gynécologue a commencé à parler de traitements pour faciliter les choses, mais la nature en a décidé autrement. Les quatre premiers mois de grossesse se sont plutôt bien déroulés, aucune nausée, seulement un peu de fatigue de temps en temps. Rien en tout cas qui ne présageait un quelconque souci.
Une fois la porte verrouillée et l'écriteau « fermé » retourné face à la rue, je cours récupérer mon téléphone au vestiaire. Si j'avais pu, je l'aurais fait avant, mais je ne pouvais pas laisser la boutique sans surveillance. Un message de ma sœur m'attend :
Maud : [Rien de grave. On se retrouve à la maison]
***
La voiture de Jonathan n'est pas encore là quand je me gare devant chez eux. Ils habitent un joli petit chalet en dehors de la ville et m'hébergent le temps que je trouve un appartement. Mes parents m'ont proposé de revenir dormir dans la maison de mon enfance, mais j'ai préféré décliner. Non pas que je ne m'entende pas avec eux, au contraire, mais après presque dix sans vivre avec eux, je ne suis pas prête à devoir rendre des comptes sur mes allées et venues. J'ai passé mes années lycée en pensionnat à cause des temps de transport trop longs dans la région. J'ai ensuite fait mes études à Aix-En-Provence — au chaud ! —, avant de m'envoler pour l'Afrique. Chacun a ses petites habitudes, et les miennes se rapprochent plus de celles de Maud que de celles de mes parents retraités.
Je rentre et décide de prendre le temps de me réchauffer sous une bonne douche chaude. Ce plaisir coupable me fait un bien fou. Je ne m'attarde pas non plus trop longtemps quand j'entends la porte d'entrée claquer. J'enfile à la hâte un jogging et un gros pull avant de rejoindre le salon. Maud est emmitouflée dans un plaid tandis que son homme allume la cheminée.
— Alors ? Qu'a dit le médecin ?
— Ce n'est rien de grave, répond ma sœur. Juste de petites contractions.
— Rien de grave, mais tu dois quand même rester alitée, enchérit Jonathan.
— Ah oui ! Il va falloir y aller mollo alors.
— Oui. Pour l'instant, elle est arrêtée deux semaines, mais le gynéco pense qu'il prolongera son arrêt jusqu'à la fin de la grossesse si son état ne s'améliore pas.
— Oui... On va être obligés d'engager quelqu'un pour la boutique, soupire ma sœur.
— Je pense pouvoir gérer pour les deux prochaines semaines. Si tu viens m'aider aux heures de grande affluence Jo, ça devrait le faire. Il faudra par contre trouver quelqu'un quand vous partirez en Norvège...
Je réalise en le disant que leur départ pour le marché de Noël d'Oslo est compromis.
Depuis deux ans, ma sœur et Jo engagent du personnel pendant les fêtes de fin d'année pour s'occuper de leur magasin et ainsi pouvoir participer à différents marchés de Noël dans toute la France. Cette année, un concours national proposait quatre places pour tenir un stand sur le célèbre marché de la capitale norvégienne. Ma sœur était aux anges d'avoir gagné la location d'une des petites maisonnettes en bois. Elle se faisait une joie de passer les deux derniers mois de l'année dans ce pays féérique, à la période des fêtes avec son mari.
— Mais du coup, vous n'allez pas pouvoir partir ?
Maud et Jonathan se regardent et échangent une conversation silencieuse. Ma sœur souffle ensuite un grand coup avant de reprendre :
— Viens t'assoir avec moi. Il faut qu'on en parle justement.
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Amour et Chocolat (éditions BMR)
RomanceEdwige n'avait pas prévu de passer sa fin d'année en Norvège. Mais quand sa sœur la supplie de la remplacer sur le mythique marché de Noël à Oslo, elle ne peut lui refuser. Elle qui ne supporte déjà pas la fraîcheur de ses montagnes, ne sait pas com...