Chapitre 2- Edwige

114 27 12
                                    

Le fait que ma sœur me demande de venir m'assoir avec elle ne me rassure pas. Je sens le coup foireux à plein nez. Et au vu de sa situation, je n'arriverai pas à refuser quoique ce soit. Cette petite chipie le sait.

Je pose mes fesses près d'elle et elle soulève la couverture pour que nous nous tenions chaud toutes les deux. La frileu-situde doit être dans nos gènes. Jo nous rejoint également de l'autre côté de sa femme. Aucun des deux n'ose entamer la discussion. Après une grande inspiration, ma sœur se lance :

— Tu sais qu'il n'y avait que quatre places pour le marché de Noël d'Oslo au concours.

Je hoche la tête en fronçant les sourcils, mais je ne vois pas où elle veut en venir.

— Au-delà du côté féérique de pouvoir participer à cet évènement, et le côté gratuit de l'emplacement et du logement, on comptait dessus pour faire rentrer de l'argent. Mais surtout, on voulait vraiment essayer de conquérir de nouveaux clients. Nous avons étudié le marché norvégien, et les produits français ne sont pas très développés. Nous avions donc prévu de prospecter sur place pour peut-être ouvrir une boutique directement là-bas.

— Ok, mais qu'est-ce que je viens faire là-dedans ? la coupé-je.

— Moi, je ne peux plus partir. Jonathan ne veut pas me laisser seule ici, et toi, sans vouloir te vexer, tu n'as rien qui te retient réellement à Montgenèvre. Et pour couronner le tout, tu parles tellement de langues que je ne doute pas un seul instant que tu pourras te débrouiller pendant ces deux mois. Cerise sur le gâteau, tu pourras même apprendre le norvégien pour compléter ton palmarès.

Le discours de ma sœur fait son chemin jusqu'à mon cerveau qui ne semble pas vouloir comprendre. Je viens à peine de rentrer et elle veut déjà que je reparte ? Seule, mais surtout...

— Tu veux que j'aille au Pôle Nord me geler les miches pendant deux mois ???

— Tout de suite les grands mots ! rigole-t-elle.

— On sait que c'est beaucoup te demander Ed, reprend Jo. Sache que nous sommes extrêmement déçus de ne pas pouvoir y aller nous-même. Mais nous avions tout prévu : le matériel, la marchandise, les rendez-vous pour visiter des locaux... À aucun moment nous n'avions pensé qu'une telle situation allait se présenter. Maud n'a eu aucun problème depuis le début de la grossesse, mais je ne veux prendre aucun risque. Elle doit se reposer ici, et je veux être à ses côtés et veiller sur elle. Et la surveiller aussi... Elle en ferait beaucoup trop sinon.

— Et pourquoi ce n'est pas toi qui y vas et moi qui veille sur ma sœur, plutôt ?

— On y a pensé, c'était notre première solution quand nous en avons parlé tout à l'heure. Mais...

Le couple se regarde, cherchant les mots justes. C'est Maud qui les trouve en premier :

— Je t'aime Ed, tu le sais. Et toutes ces années sans toi, tu m'as manqué. Mais Jo est mon mari et le papa de notre bébé, et s'il devait arriver quoi que ce soit au bébé... J'ai besoin de lui.

De petites larmes perlent au coin de ses yeux. La frayeur qu'ils ont eue cet après-midi n'était pas si anodine que cela, finalement. Elle les a beaucoup remués, et ils sont tellement bouleversés qu'ils me demandent, à peine quelques heures plus tard, de les remplacer dans leur projet. Projet que je ne savais pas si conséquent avant ce soir.

— Si vraiment tu ne veux pas, on ne t'en voudra pas, termine Jo. On sait que tu viens tout juste de revenir. Mais voilà, nous n'avons pas envie de mettre tout notre travail à la poubelle et je ne vois pas qui envoyer d'autre. Il y a bien Élise, mais elle ne parle pas un mot d'anglais, alors le norvégien... Si je le peux, je viendrai te soutenir quelques jours de temps en temps, mais je ne peux rien te promettre de plus.

Ma sœur se reprend et attrape mes mains avant de me fixer droit dans les yeux :

— En bref, c'est un peu comme notre rêve, et on sait qu'on te met tout sur les épaules. Ce n'est pas juste de notre part, mais nous ne voyons d'autre solution pour le moment. Surtout que le départ est prévu dans quinze petits jours. Tu as le droit de refuser et sache que je ne t'en voudrai pas. Jamais ! Mais on se devait de te demander. On ne pouvait pas tout abandonner sans rien tenter. Ça me crève le cœur de ne pas pouvoir y aller, mais de savoir que tout ce qu'on prépare depuis trois mois va être mis aux oubliettes, ça me déchire le cœur. Alors oui pour notre bébé je suis prête à oublier, ou du moins mettre mon rêve de côté. Mais ne m'en veux pas d'essayer de le sauver grâce à toi.

— Je...

Je ne trouve pas les mots. Les yeux larmoyant de ma sœur, la compassion de mon beau-frère envers elle, la passion de leur projet, je ne sais pas comment refuser. D'un côté, j'ai l'impression d'être piégée, qu'ils me prennent par les sentiments. De l'autre, ils n'ont fait qu'exposer honnêtement les choses avec leurs enjeux.

— Ne nous réponds pas ce soir à chaud, me dit ma sœur, interrompant mes pensées. Prends au moins la nuit, même quelques jours, pour y réfléchir. Ce n'est pas rien comme décision.

— Oui, on arrête d'en discuter et à la place, fêtons le fait que le bébé soit en pleine forme, propose Jo. Soirée pizza, ça tente tout le monde ?

Maud et moi acquiesçons.

Nous ne reparlons pas une seule fois de leur demande. À la place, nous échangeons sur les prénoms, nous faisons des pronostics quant au sexe du bébé que nous ne connaissons pas encore et nous débattons de la couleur de la chambre. Le ton est plus léger et propice à la détente. D'ailleurs, les contractions de ma sœur se font plus rares en fin de soirée.

Au moment d'aller nous coucher, elle me prend dans ses bras.

— Je t'aime soeurette, et ce, quoi que tu décides. Tu es totalement libre de refuser et il n'y aura pas de conséquences. Je t'aimerai toujours autant et tu pourras rester avec nous aussi longtemps que tu le souhaites.

— Merci. Laisse-moi juste le temps de digérer et de peser le pour et le contre.

— Aucun problème. Bonne nuit.

— Bonne nuit, Maud.

Je rejoins la chambre d'amis que j'occupe depuis quelques semaines. Une fois allongée sous la couette, je réfléchis. Mais pas aussi longtemps que je le pensais. Ma décision est déjà prise.

***

Lorsque j'arrive dans la cuisine pour le petit déjeuner, Jo et Maud sont déjà assis autour de la table.

— Bonjour Ed !

— Bonjour, bien dormie ? Tes contractions ?

— Non, pas vraiment, grimace ma sœur. Elles sont revenues vers trois heures du matin, mais ça va. Je vais me reposer et tout ira bien.

Les poches sous ses yeux m'indiquent que sa nuit a vraiment été courte. L'attente de ma réponse ne doit pas aider. En l'espace d'une après-midi, elle a appris qu'elle devait rester allongée pour protéger son bébé et abandonner son rêve d'aller au marché de Noël d'Oslo. Plus leur projet d'ouvrir une boutique là-bas... Je ne vais pas la laisser se faire des nœuds au cerveau plus longtemps.

— Écoutez, j'ai réfléchi à votre demande. J'ai déjà passé trois ans loin d'ici...

— Je sais, me coupe Maud. Nous n'aurions jamais dû te demander de te sacrifier. Oublie notre discussion d'hier. On va se débrouiller, tu n'as même pas besoin de refuser.

— Maud a raison, nous en avons reparlé, enchaîne Jonathan. Nous avons réagi dans l'urgence hier soir. Mais nous allons tout reprendre et trouver une solution qui ne t'implique pas.

— Et j'ai le droit de donner mon avis ?

Le couple me regarde, ne saisissant pas où je veux en venir.

— Si vous m'aviez laissé finir, vous auriez compris que la fin de ma phrase était que je ne suis plus à deux mois près loin d'ici. Comme vous me l'avez fait remarquer, je n'ai pas la barrière de la langue et j'en apprendrai une nouvelle par la même occasion. Il faudra juste bien m'expliquer ce que je dois faire et prier pour que je ne finisse pas en glaçon.

Amour et Chocolat (éditions BMR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant