Lumière Éternelle | 𝐎𝐒 𝐍𝐀𝐑𝐔𝐓𝐎

Un Ultime et Paisible Crépuscule

- Dis, dis, grand frère ! On y va ?

Reconnaissant instantanément le petit corps qui venait de s'agripper à son dos, Itachi ne put empêcher un furtif sourire de prendre place sur ses lèvres. Des mains empressées tirèrent le sombre tissu de son vêtement tandis qu'un poids prenait légèrement appui contre lui, synonyme de l'impatience qui régnait dans le corps du nouvel arrivant en prévision du futur entraînement. Repoussant délicatement le garçonnet qui s'était cramponné à ses épaules, le jeune homme finit d'enfiler ses chaussures puis se retourna vers son cadet tout en se relevant du perron sur lequel il était assis juste auparavant. Alors que le plus jeune de la famille le contemplait, les yeux pétillants, l'aîné hocha la tête en guise de réponse et le jeune Sasuke se précipita lui aussi près de l'entrée du foyer, afin de se chausser à son tour. S'asseyant sur la haute marche où était placé son aîné quelques instants plutôt, il revêtit avec précipitation ses petits souliers avant de vérifier que ses instruments de shinobi étaient bel et bien dans la sacoche accrochée à sa ceinture, afin d'être paré pour, il l'espérait, prouver au génie de la famille que, lui aussi, était digne de porter ce nom.

- Ne rentrez pas trop tard, ordonna une voix rudement grave. Ce soir, nous avons un rassemblement avec tout le clan auquel tu dois assister, Itachi.

- Entendu, répondit simplement ce dernier, sentant le regard perçant de son paternel peser sur lui.

Ce rappel lui remit brutalement les pieds sur Terre, lui remémorant la déplorable réalité, celle qu'il n'allait pas tarder à devoir affronter. Une abjecte sensation s'infiltra en lui ; ressasser cela lui donnait l'impression que la lourdeur du plomb avait volé la place de son organe vital, dissipant en quelques paroles la brise de douceur qu'était venu insuffler le jeune Sasuke par son unique présence. Par ailleurs, ce dernier s'était aventuré à l'extérieur du foyer Uchiha, pressé de montrer les fruits de son acharnement au jeune homme qu'il admirait tant, et commençait déjà à trottiner plus loin dans le chemin, ses pas enfantins faisant crisser les graviers qui jonchaient la terre sous ses semelles. Laissant ses sinistres préoccupations sur le pas de la porte de son foyer, l'aîné lui emboîta alors le pas, en envoyant valser, par l'impulsion de ses foulées, une légère poussière causée par la sècheresse des journées estivales. Tous deux progressèrent dans les ruelles du quartier Uchiha où on pouvait observer de nombreux éventails trôner fièrement sur les murs, emblèmes du feu embrasant les poumons des membres du clan. Un vent chaud vint s'engouffrer dans l'avenue où ils s'engagèrent, et les accompagna jusqu'aux portes du domaine Uchiha, ne pouvant aller plus loin, comme si cette bourrasque était, elle aussi, prisonnière de la lignée maudite, condamnée à errer entre ces allées qui seraient bientôt tachées du sang déchu de ses membres. Innocent, Sasuke profitait de chaque sensation qui parcourait son petit corps et ferma les yeux lorsque la brise réconfortante vint flotter entre ses mèches ébènes et caresser ses joues légèrement rondelettes, rondeurs propices à la douceur de son jeune âge. Arrivé sur le terrain d'entraînement après une dizaine de minutes de marche, le duo inspecta brièvement les lieux, bien qu'il le connaissait du bout des doigts. Itachi avait enseigné à son cadet la façon dont il devait examiner un terrain avant de s'y aventurer, et cela commençait par l'exploration de cette simple clairière. L'aspirant ninja détailla chaque recoins du bois avec la plus grande attention, contemplant minutieusement les branchages tout en laissant ses petites mains glisser sur l'herbe tendre, dans le but de deviner si, oui ou non, quelqu'un d'autre était passé par ici. Couvé par le regard bienveillant du shinobi de l'ANBU, il revint vers lui en déclarant solennellement :

- Personne n'est venu !  

Itachi acquiesça pour confirmer les paroles du petit dernier, un discret sourire de fierté sur le bout de ses lèvres, et entama l'entraînement de l'impatient. Après lui avoir montré une multitude de façon de lancer ses shurikens, techniques s'appuyant sur la déviation de ses propres armes plutôt que sur l'attaque pure et dure, le jônin âgé de seulement treize années incita son cadet à faire de même. Intrépide, celui-ci troqua son expression émerveillée face aux prouesses de son frère contre une mine concentrée, fin prêt à en découdre avec cet exercice qui le tentait depuis bien longtemps. Ses premières tentatives se conclurent par un échec, mais il ne perdit ni espoir ni envie, et focalisa toute sa détermination dans les lancers qu'il réalisait, sans relâcher l'attention qu'il portait à la torsion de son buste ou de sa nuque. En observant le candide garçon s'évertuer à projeter des shurikens sur un arbre dont l'écorce était mutilée par les nombreuses sessions d'entraînement que Sasuke réclamait à son aîné, Itachi sentit son cœur se pincer. Cette hâtive douleur se mua peu à peu en réelle souffrance, comprimant son organe vital de la façon la plus atroce qui soit. D'ici plusieurs jours, la mine enjouée qu'affichait naturellement l'aspirant ninja quand il le voyait se fanerait brutalement et à jamais. Il allait faire de son frère un orphelin. Il s'apprêtait à condamner l'être qu'il aimait le plus au monde à la plus dévastatrice des souffrances, la plus impitoyable des solitudes. En voulant assurer la survie de son cher cadet, Itachi promettait à ce dernier le plus funeste avenir qu'il soit. Il en faisait un martyr ; obliger cet innocent garçonnet au cœur pur à devoir supporter toute la haine et la rage du clan à bout de ses petits bras lui déchirait purement et durement le cœur.

Mais Sasuke devait vivre. À tout prix.

- Grand frère ?

Perdu dans ses funestes pensées, l'aîné n'avait même pas entendu son petit frère l'appeler à plusieurs reprises. Ce dernier le regardait, la mine interloquée, visiblement en attente d'une réaction. Le jônin balaya alors du regard la clairière. Cette dernière était baignée d'une douce lueur orangée, se mélangeant dans une gracieuse harmonie avec les feuillages émeraudes qui produisaient une mélodie féérique en raison de la brise estivale se faufilant entre les arbres et qui caressait de son souffle pur les branchages luxuriant de verdure. Au milieu de ce décor idyllique, trônait un petit garçon âgé d'à peine huit ans. Les traits tiraillés par l'essoufflement auquel il était sujet, le candide visage de l'aspirant ninja fut fendu d'un sourire lorsqu'Itachi le félicita pour ses progrès fulgurants. Comme si les arbres aux alentours s'étaient donné le mot pour permettre au soleil de déverser sa divine pluie de rayons dorés, Sasuke trônait au centre de ce puit de lumière, tel un ange des plus immaculés. Itachi aurait pu le serrer entre ses bras, une ultime et douloureuse fois, si il n'avait pas eu peur de l'alarmer, lui qui ne se laissait jamais submerger par ses émotions. Se ravisant, le jônin se contenta d'observer le plus pur des êtres déloger les shurikens qu'il avait projeté dans la chair tendre des arbres.

Profitant de ces instants de légèreté qu'il partageait pour l'ultime fois de son existence avec son cadet, le jeune homme s'attela à lui enseigner les derniers savoirs qu'il pouvait lui faire immortaliser, dans le but de laisser son petit frère avec le maximum de connaissances et de force que son jeune âge lui permettait, tel un symbolique héritage qu'il lui transmettait avant de complètement briser sa vie. Sasuke buvait ses paroles comme si les mots de son aîné étaient une eau bénite dans laquelle le petit garçon plongeait sans hésiter, étant persuadé que son frère était le plus extraordinaires des shinobis que cette Terre n'ait jamais connu.

L'horizon dissipa son halo orangé qui veillait sur les deux frères jusqu'ici pour un revêtement rougeoyant, et la coupole céleste semblait prendre feu tandis que le jônin aux joues cicatrisées annonçait à son cadet qu'il était temps d'y aller. Comme il s'y attendait, ce dernier gonfla sa joue droite, tordant son doux visage enfantin en une moue boudeuse, tout en commençant à protester. Alors, comme il en avait et en aura toujours l'habitude, Itachi fit signe au tout jeune Sasuke de s'approcher. Ses orbes ébènes grandes ouvertes, l'adorable enfant accouru vers lui, les traits instantanément égayés ; l'aîné imprégna cette candide expression dans sa mémoire, avant de délicatement tapoter sur le front du garçonnet à l'aide de deux doigts, joignant à son geste, ces paroles qu'il n'aura plus jamais l'occasion de prononcer :

- Désolé Sasuke, une autre fois peut-être.