Quelques larmes sur le marbre

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- Celle-là.

Caressant du bout de ses doigts délicats les pétales ivoires d'une sublime fleur au parfum envoûtant, une jeune femme hocha la tête et attrapa la fine tige de la plante qu'on venait de lui désigner, afin de la tirer du vase en verre qu'elle ornait. Elle glissa avec douceur le lys dans le creux de son autre paume, où résidait déjà un début de bouquet qui arborait des teintes rosâtres et dorées pour le moment. En ajoutant à ces couleurs chaudes la pureté des pétales immaculés, la Yamanaka perfectionna la création qu'elle tenait entre ses mains habiles, composant une harmonieuse rencontre entre le camaïeu des différentes plantes.

- C'est un joli bouquet, commenta sobrement la belle jeune femme à l'attention de son ami.

Shikamaru lui répondit en étirant discrètement ses fines lèvres d'un pâle sourire, avant d'hocher la tête. La fleuriste s'affaira alors à envelopper les fleurs dans un somptueux papier aux teintes nacrées afin de révéler les couleurs éclatantes des plantes en offrant un saisissant contraste de nuances, tandis que le Nara balayait de son regard café l'échoppe appartenant à la famille Yamanaka et emplit ses poumons de la douce fragrance flottant dans l'atmosphère. Il régnait une fraîche humidité dans le petit magasin de fleur, propice à l'épanouissement des bourgeons qui étaient vendus, et chaque mètre carré de la pièce était comblé par diverses bouquets ou ornements bucoliques. Peaufinant son travail, la jeune femme noua en un geste minutieux un ruban rougeâtre autour de cette composition florale, afin de sceller le tout. Elle tendit la création à son ami, accompagné d'un sourire bienveillant, et le brun recueilli le bouquet entre ses deux mains, comme une offrande.

- On y va ? souffla Ino d'une voix emplie tendresse en constatant l'inhabituelle fragilité dont semblait faire preuve le jeune homme en cette symbolique journée.

Ce dernier hocha la tête, et elle l'incita à quitter l'échoppe en déposant avec délicatesse sa main sur son dos. Une fois dans la rue, la douce glissa son bras fin sous celui de Shikamaru, puis tous deux empruntèrent le chemin en direction du lieu de recueillement de Konoha. À mesure qu'ils s'en approchaient, l'animation permanente des rues s'estompaient pour ne laisser place qu'au bruissement des feuillages secoués par la brise estivale. Le duo franchit les larges portes du cimetière du village caché de la Feuille, afin de se diriger face à l'épitaphe formé par des lettres gravées dans le marbre, où on pouvait lire les noms suivant : Nara Shikaku. Yamanaka Inoichi.

Les enfants des défunts avaient régulièrement l'habitude de venir se recueillir sur la tombe de leurs paternels, et si habituellement ils appréciaient se retrouver seuls pour confronter le deuil, aujourd'hui les deux êtres ayant perdu leurs pères dans les exactes mêmes circonstances avaient ressentis le besoin de partager cet instant avec l'autre. Voilà exactement un an que la tragédie les avait frappés et qu'ils avaient perdu leurs pères lors de la Quatrième Grande Guerre Ninja. Une cérémonie était prévue dans l'après-midi, mais les deux orphelins avaient tenus à se réunir avant de devoir se confronter à la foule toute de noir vêtue, où se mêlait les pleurs étouffés et les larmes qu'on ne pouvait retenir.

De ses orbes brunes, Shikamaru détailla avec minutie la façon dont le nom de son père était empreint dans la roche, accroupi auprès de la stèle ; tandis que son côté, Ino laissa son regard océan vaguer parmi les innombrables tombes alignées sur l'herbe verdoyante. Ses iris azures stoppèrent leur contemplation à l'emplacement où reposait leur maître depuis plusieurs années déjà. Si le temps avait apaisé la souffrance liée à sa brutale disparition de leur vie, les dernières paroles que lui avait soufflé Asuma étaient marquées au fer rouge dans esprit, et venaient la brûler vive lorsque qu'elle voyait ses deux amis souffrir. Régulièrement, elle percevait la voix grave du jônin lui ayant tout appris, dont la faiblesse ayant régnée dans son ton en cet instant n'avait pu qu'égaler la puissance de la fierté qu'il éprouvait pour ses disciples, lui souffler :

Chôji et Shikamaru sont des garçons maladroits. Prend soin d'eux.

Comme inconsciemment, elle s'empressa de s'abaisser à la hauteur du jeune homme, et constata la buée venu troubler la sempiternelle opacité de son regard. La shinobi déposa avec une grande tendresse sa main sur l'épaule affaissée de son éternel compagnon, puis pressa ses doigts autour du tissu râpeux recouvrant le corps abattu du brun. Et sur les joues du Nara, la pluie de son regard commença à couler. Les flots de sa peine s'accumulaient sur le rebord de ses paupières, avant de déborder comme un vase qu'on aurait surchargé de peine, et d'entamer leur dégringolade sur son visage. Tout le courage dont il faisait preuve au quotidien, sa rationalité démesurée, son inébranlable raison, s'échappaient au travers des quelques perles salées qu'il autorisa à rouler sur ses joues granuleuses, autour desquelles Ino avait disposé ses mains délicates en coupe, le garçon ayant contenu ces larmes depuis bien trop longtemps. Tu es si fort. Voilà la phrase que la jeune ninja lui souffla avec tendresse à l'oreille. Il redressa son visage à l'entente de ces paroles, et noya son regard perdu dans les sublimes pupilles de cette fille qui était si chère à son cœur. La jeune femme sentit son cœur se fendiller dans sa cage thoracique lorsqu'elle put lire la tristesse infinie régnant dans le reflet de l'âme du Nara ; comme si cette peine qu'il avait contenu pendant une année durant - voulant à tout prix rester fort pour sa mère - venait d'être libérée. Les gouttes salées s'échappaient de la prison de son regard comme des prisonnières ayant réussi leur évasion ; coupables, honteuses mais soulagées.

La jeune femme au grand cœur glissa ses phalanges à l'arrière du crâne de son ami, caressant ses mèches qu'il nouait éternellement dans une haute queue de cheval au passage, puis rapprocha son visage afin que leurs fronts se collent, comme un appui sur lequel ils pouvaient toujours compter. Les larmes perlèrent sur les mines fendues de douleur des deux amis endeuillés, se rejoignant sur le sol où leurs pluies mélancoliques s'unirent pour ne former qu'une seule et même peine.

En cet instant ils n'étaient plus de robustes shinobis accomplissant leur devoir quotidiennement et sans ciller, ni d'héroïques ninjas ayant survécu à une affreuse guerre ou de courageux disciples ayant surmonté la mort de leur maître.

Non, pendant ce bref moment de douleur qu'ils s'accordaient, ils n'étaient que deux orphelins. Orphelins de leurs pères, de leur maître et des douces années de leur enfance insouciante où, sans le savoir, ils avaient formé un lien qui ne cesserait jamais de les unir.

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Lumière Éternelle | 𝐎𝐒 𝐍𝐀𝐑𝐔𝐓𝐎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant