Chapitre 6

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-" Je suis bien trop cartésienne pour croire que ma part de bonheur se trouve dans une union."-


Plongée dans sa traduction quelque peu périlleuse, Mary n'entendit même pas l'horloge sonner les dix heures. Toujours drapée de sa chemise de nuit, ses verres posées sur le nez et sa fidèle plume à la main, rien ne semblait exister autour d'elle. Seul le miaulement invétéré de son chat la distrayait lorsque les passages se corsaient.

Les doigts noircis par l'encre et boursouflés par la cambrure causée par les usages répétés de la plume, elle sursauta lorsque les hurlements de sa mère firent trembler la fine séparation entre leurs deux chambres. Soudainement inquiète, elle sortit rapidement pour découvrir un joyeux tableau. Ses deux parents ainsi que Kitty étaient rassemblés dans la chambre et semblaient sonnés.

— Que se passe t-il ? S'enquit Mary déboussolée

— Nous venons de recevoir une lettre de Lydia, répondit Kitty les yeux vitreux

— Et donc?

— Elle vient d'annoncer qu'elle...

— Votre soeur attend son premier enfant ! Comme c'est merveilleux. Lydia maman ! N'est-ce pas la meilleure nouvelle que l'on pouvait espérer ? Se réjouit Mrs. Bennet, les joues rougis par la joie

Quand à Mr Bennet, il semblait absent, loin de partager le soudain bonheur de sa femme.

— Que faites-vous encore en chemise de nuit Mary ? Il est dix heures passées. Comptez-vous ne plus jamais vous présenter convenablement ? Réprimanda Mrs Bennet

Mary, ainsi renvoyée dans sa chambre, suivie par sa femme de chambre, s'habilla en vitesse. Le corset serré et ses cheveux relevés en une coiffure aussi simple que possible, elle s'apprêta à descendre pour sa leçon quotidienne de piano lorsqu'elle fut interceptée par une Kitty affolée.

— Mais...

Avant qu'elle ne pu formuler sa phrase, elle fut bousculée jusqu'à la chambre de sa soeur. Kitty referma la porte et fit les cent pas. Sa mine contrariée rida son visage juvénile.

— Je peux savoir pourquoi vous êtes aussi soucieuse ? Somma Mary les sourcils froncés

— Je n'arrête pas de penser à l'aveu de Lydia. J'en suis encore toute retournée.

— N'êtes-vous pas heureuse de la nouvelle ?

— Je le suis bien au contraire, je suis juste préoccupée par la situation.

— Est-ce bien vous Kitty ou avez-vous été changé par une autre jeune femme censée ? Railla Mary

Depuis des années sa jeune soeur ne se préoccupait de rien appart ses jupons et les bals. Entortillée dans les bras de Lydia, elle se laissait plongée dans les travers d'une jeunesses impérieuse.

— Cessez de vous moquer, ordonna Kitty vexée

— Pendant des années vous avez suivis les jupons de Lydia dans tous ses travers. Vous ne l'avez jamais quitté jusqu'a son départ, appréciant et jugeant bon tous ses caprices. Mais depuis le mariage de Lizzie et Jane, vous semblez totalement différente, informa la jeune femme redevenue sérieuse

— N'êtes-vous pas soulagée que je sois revenue sur le bon chemin et que je me sois assagie ?

— Je trouve cela tout simplement surprenant. Votre transformation de jeune fille frivole et immature à une jeune femme posée et réfléchie tout-à-fait... comment dire... inattendue.

— Voila l'image que vous aviez de moi pendant tout ce temps ?

Kitty s'arrêta droite devant sa soeur, le front plissé et les yeux interrogateurs. Cette jeune femme, pensa Mary, a tellement évolué en si peu de temps que chaque instant auprès d'elle, était une surprise.

— Ne me lancez pas ce regard. Vous vous êtes vous-même rendue coupable des mauvais jugements. À force d'être dans l'ombre constance de Lydia, vous vous êtes comportée de la même manière, à rire trop fort, à danser sans vous rendre compte que vous vous tourniez en ridicule et à séduire des hommes aussi grossièrement que l'étique nous le permet. Et tout à coup, vous devenez une jeune femme qui s'offusque du caractère et de la situation d'une soeur que vous aviez pris pour modèle. Avouez que cela est étonnant, se justifia Mary

— Oui, j'ai conscience que mon comportement ait pu être mal reçu ou même mal accepté mais je n'en avais pas conscience. J'ai toujours vu en Lydia, une chance de m'amuser et de vivre le plus possible avant de m'enfermer dans une union plate et morne. Hélas, lorsque j'ai vu toutes les désillusions auxquelles notre soeur fait face, je dois avouer que ma bulle a éclatée. De plus, avec les mariages somptueux de Jane et de Lizzie, j'ai compris que je voulais plus. Je ne veux pas d'un mari qui ne prétend m'aimer. Il y a encore quelques semaines, j'enviai terriblement Lydia. J'aurai tout donné pour vivre une telle romance aussi passionnante que vivifiante mais maintenant, j'ai conscience de mettre terriblement fourvoyée.

— Que souhaitez-vous aujourd'hui? Se risqua Mary

Kitty s'assit près de sa soeur et lui prit les mains dans les siennes. Aussi étonnas que cela pouvait paraitre, Mary se tendit. Elle n'était pas très friande des effusions physiques et s'était toujours éloignée. Mais à cet instant, elle chérissait des moments de partage.

— J'aimerai trouver un homme bon, qui m'aime assez pour accepter une modeste dote et qui me fasse ressentir tout ce que je ne connais pas encore. Et vous ma chère Mary, qu'attendez-vous de vivre? S'arrêta Kitty

D'un mouvement de recul, Mary la regardait comme si une nouvelle tête venait de lui pousser. Elle ? Mariée à un homme ? Et quel homme ?

— Je souhaite... Je ne sais trop. Sans doute, avoir la même vie que j'ai actuellement. Continuer à me perfectionner dans la musique et décortiquer des livres anciens. Tout ce que j'ai me comble.

— Comment ? Vous ne voulez vous marier, construire votre propre famille et sortir de cette maison ?

— A quoi bon me marier si je ne puis être comprise et acceptée comme je suis ? Puis-je trouver un homme digne de moi sans me plier à ses attentes et convictions ? Je ne veux et ne peux changer. Je n'ai que faire si je finis vieille fille, seule et aigrie. Tant que je suis entourée par mes livres et ma musique, je ne demande rien de plus. Quant à cette maison, un jour où l'autre, je serais forcée de la quitter alors je ne me fais pas trop d'illusions. Je ne suis pas prédestinée à vivre des aventures de contes ou de princesses, je suis bien trop cartésienne pour croire que ma part de bonheur se trouve dans une union. 

MARY BENNET (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant