Chapitre 5

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-" Ayant quatre soeurs considérées comme les meilleurs danseuses du comté, vous vous doutez bien qu'il ne se passait pas un jour où l'entrainement et le perfectionnement n'étaient pas de guises. Maintenant que trois d'entre nous se sont envolées en noces, peut être aurais-je le luxe d'y échapper."-


Les pas lourds de quelqu'un à heure avancée de la nuit brisèrent la sérénité de la maison. Le léger grincement d'une marche de l'escalier réveilla en sursaut Mary. Les yeux entrouverts et l'ouïe aux aguets, elle se redressa et colla son oreille à la porte.

Qui pouvait faire autant de bruit à cette heure si tardive ? Certainement pas les servantes, le soleil était encore loin de se lever. Soucieuse de se retrouver en face d'un briguant ou d'un criminel en fuite, elle cacha sa bouche de sa main pour que le bruit de sa respiration ne la trahisse. Seulement, la quiétude reprit et plus aucun bruit suspect ne se révéla.

Mary, dévorée par la curiosité et la frénésie, elle enfila rapidement une robe de chambre et sorti à pas de loup, attirée par le faisceau lumineux qui dansait en bas des escaliers. La jeune femme tâtonna pour ne faire aucun bruit. Sans lumière et les pieds congelés par la fraîcheur de la nuit, ses dents claquèrent. Elle descendit prudemment chacune des marches. Arrivée devant la porte de la bibliothèque, la faible lumière qui traversait l'encadrement ne laissait aucun doute. Quelqu'un se trouvait dans cette pièce et aussi angoissant soit-il seul Mr Bennet avait l'autorisation de s'y enfermer. Étant plus jeune, Kitty y était allée, choisissant des livres par pur hasard, son père ayant remarqué l'absence de plusieurs de ses tomes favoris avait décrété que plus aucune de ses filles ne pourrait y entrer sans son autorisation. Seule Lizzie y dérogeait sans être inquiétée.

D'autant plus étonnant et inquiétant, Mr Bennet était connu pour avoir un sommeil très lourd et rien ne pouvait le sortir de sa rêverie avant le chant du coq. La seule hypothèse qui s'offrait à Mary à cet instant était un inconnu. Les servants ne se risqueraient à une telle incartade au risque d'être renvoyés sans ménagement. Leur maitre était d'un flegme légendaire mais lorsqu'il s'agissait d'une règle brisée, il devenait aussi ferme qu'autoritaire.

Situation encore plus préoccupante, cette bibliothèque ne renfermait pas seulement les joyeux du maitre de maison mais aussi ses livres de comptes et quelques économies y étaient posées et pas vraiment cachées.

Cette fois, Mary en était sûre, un voleur se trouvait à l'intérieur, surement en train de voler le peu de richesses facilement repérables. Elle souffla discrètement pour se donner du courage et agrippa la poignée. D'un mouvement brusque, elle l'actionna, prête à confronter certainement l'homme coupable des battements frénétiques de son coeur.

Seulement, au lieu de tomber face à un briguant sanguinolent, ce fut tout bonnement son père installé confortablement à lire un passage d'un ancien conte grec.

— Et bien Mary, votre entrée est assez inattendue, dit-il surpris

— J'ai entendu du bruit, je pensais qu'un intrus avait réussi à entrer, répliqua-t-elle soulagée

Sur ces mots et enfin rassurée de ne savoir aucun voleur dans la maison, elle s'apprêta à ressortir quand le grincement du vieux bois de la chaise retenue son attention.

— Restez à mes cotés, j'ai à vous parler.

Surprise par cette invitation inattendue, elle laissa ses pas la guider vers un des fauteuil en face du bureau. Jamais son père ne lui avait demandé et surtout proposer une discussion aussi légère soit-elle. Il se contentait d'échanger des banalités lors des repas mais ses répliques étaient généralement lancées également pour ses soeurs et seule Lizzie se donnait la peine de lui répondre.

— Comment avez-vous trouvé le mariage? Etait-il à votre goût?

— Je dois avouer qu'il était à l'image des mariés, festifs, pleins de vie et encourageants pour la suite mais vous devez sans doute déjà connaitre mon opinion sur ses grandes fêtes, répondit-elle morose

— Je crois savoir en effet que vous êtes plus portée sur la richesse de l'esprit et j'en suis même étonné. Pourquoi êtes-vous aussi intraitable ?

— Je ne suis pas une grande fervante de ce genre de mondanité. J'aime la tranquillité et les discutions profondes. Danser avec des cavaliers qui se succèdent ne m'enchante pas. Je préfère rester dans mon coin et attendre que cela se passe. À quoi bon danser lorsque nous pouvons discourir sur des sujets passionnants?

Hélas, il semble qu'aucun membre de cette famille ne soit de mon avis. Les bals ont une saveur insipide.

— Il est vrai que je vous ai jamais vu danser. Vous souvenez vous des pas? Se moqua-t-il

— Ayant quatre soeurs considérées comme les meilleurs danseuses du comté, vous vous doutez bien qu'il ne se passait pas un jour où l'entrainement et le perfectionnement n'étaient pas de guises. Maintenant que trois d'entre nous se sont envolées en noces, peut être aurais-je le luxe d'y échapper.

— Je vois. Les nerds de votre mère ne se calmeront pas avant longtemps j'en ai peur, seule Kitty pourra lui redonner l'envie de sortir de sa chambre. Ce sera tout Mary, vous pouvez remonter vous coucher, finit-il songeur

La jeune femme, ainsi congédiée, remonta l'escalier en ce remémorant inlassablement l'échange qu'elle venait d'avoir avec son père. Jamais, ils n'avaient discuté en tête à tête et ce sujet de la danse qui venait sans lien ne ressemblait en rien à Mr Bennet. Elle regagna son lit mais ne parvint à trouver le sommeil. Elle avait beau tourner et retourner leur conversation, elle ne comprenait pourquoi il avait tenu à lui parler.

Finalement, lassée de ne pouvoir finir sa nuit, elle se releva et se plongea dans le gouffre d'un livre dont la reliure manquait de se déchirer.

MARY BENNET (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant