Chapitre 3

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Tous les jours après le travail, j'allais au Chicago River. Je restais là, pensif,  repensant à mon père et à tous nos souvenirs mais aussi aux histoires qu'il m'avait racontées enfant lorsqu'il était docker au port de Catanzaro. Pendant plusieurs années, je ressentis un vide indescriptible. Je pense, avec le recul, que ce sentiment est la conséquence inévitable qu'un enfant subit lorsqu'il perd son innocence trop tôt. C'était comme si mon âme d'enfant avait été enlevée. Il m'arrivait souvent de pleurer, d'en vouloir à la terre entière. Dans ce genre de situation, rien est pire que de penser au passé...

Mais, comment voulez-vous faire autrement?

Le meurtre de mon père m'a profondément changé. Peu de temps après sa mort, je constatais, sans que je puisse y faire quoi que ce soit, qu'une haine grandissait en moi.  Je ne pouvais la contrôler. Et c'est comme ça depuis le jour de sa mort, oui, même aujourd'hui. Pendant longtemps, cette haine fut si forte que je ne pouvais l'expliquer et lorsque que je n'arrivais pas à la contrôler, je devenais extrêmement violent aussi bien en paroles qu'en actes. Tony voyait mon mal-être. Il ne m'a jamais jugé, au contraire. Je me rappelle que dès les premiers temps où j'étais venu habiter chez lui, il essayait de m'aider en me changeant les idées. Il avait le don pour me redonner le sourire.

Après le drame, et ce, pendant plusieurs années, ma famille a beaucoup souffert. Mon oncle et ma tante avaient du mal à nourrir ma petite sœur Angela car les affaires allaient très mal dans le quartier. Malgré l'augmentation du salaire moyen par jour en 1908 qui passa de deux à trois dollars par jours auparavant, à cinq dollars par jour, les magasins et les propriétaires immobiliers décidèrent d'augmenter les loyers et les prix des produits, ce qui était compliqué pour les gens des quartiers pauvres. C'était exactement pareil, ça revenait au même! On tournait déjà en rond à l'époque! La pauvreté était entretenue... Lamentable! Personne n'était dupe...


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Dans le quartier, la mafia devenait de plus en plus puissante. Afin d'éviter aux gangs Irlandais et Juifs de prendre de l'importance, Giacomo Colosimo décida de devenir impitoyable dans "son territoire" et de taxer tous les commerces sans exception ! Tous devaient donner vingt-cinq pour cent de leurs chiffres d'affaires du mois, ( le pizzo), et peu importe s'ils avaient gagné de l'argent ou pas. Et bien sûr, ceux qui avaient le malheur de refuser se faisaient tabasser dans un premier temps, puis tuer au second refus. En une année, plusieurs dizaines de personnes furent assassinées par la Mano Nera...

C'était une honte, des gens qui gagnaient trois fois rien devaient donner de l'argent durement gagné à de vulgaires criminels, des sous-êtres sans honneur. Oncle Giuseppe, qui, autrefois, parvenait à gagner plutôt bien sa vie, devait non seulement nourrir une bouche en plus, ma sœur Angela, mais aussi, il devait donner vingt-cinq pour cent de ses revenus aux gars qui avaient tué son propre frère. Des sales ripoux écœurants ! Mais on ne pouvait rien faire contre eux. La Mano Nera était trop puissante pour nous, les gens du peuple. Avec mes yeux d'enfant, je comprenais très bien ce qu'il se passait, et je me disais qu'un jour, Giacomo le paierait de sa vie pour avoir tué mon père, et fait souffrir tant de gens. 

Les Mazzino ne tenaient pas de commerces, et n'avaient donc pas à payer de taxes, mais malgré tout, ils ne pouvaient s'empêcher de débattre sur la Mano Nera pendant les repas. Ce n'était que des constatations. Ils ne pouvaient rien changer. Que des discussions inutiles, des débats stériles pour dire des choses que tout le monde savait déjà. C'est là que j'ai compris que parfois, il valait mieux agir, que de discuter, si on voulait que les choses changent. Se soulever aurait-t-il  marché? J'en sais rien. En tout cas, en parler des heures, non...

Jusqu'au dernier roundOù les histoires vivent. Découvrez maintenant