III

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MANI

Les pleurs de ce nouveau-né dans la maison de la vieille matrone étaient forts à en crever les tympans.

Mani, dans sa pelisse noire couverte d'améthystes, son pantalon de laine blanche, et le cuir d'ours nandi dont la tête aux crocs menaçants se jettait sur sa poitrine, ne pouvait s'empêcher de tressaillir, lorsqu'il voyait l'accoucheuse prendre, de l'entrecuisse de la parturiente, son fils le prince, empourpré de sang.

Il frémit de plus belle, lorsque la sage-femme lui tendit le nourrisson, si petit et si fragile, qu'il eut peur de le tuer à la moindre gaucherie.

À dix-sept ans, roi, et déjà père. Nul n'aurait suboré ce destin là, et lui encore moins.

De ses yeux ocre et embrumés, Mani remarqua les tendances grasses que présentait le petit. L'enveloppant dans les Astrakhans que lui avait procurés la sage-femme, il entreprit de sortir de là, et déboucha dans la Grand-Place du village d'Aurore, où une myriade d'arpheniens s'étaient réunis, ayant entendu la nouvelle de la naissance du prince.

Mani balaya la foule du regard, et présenta pompeusement :

« ARPHENIENS, MON FILS ! »

C'en fut suivi d'ovations assourdissantes, de cadeaux, de louanges et d'actions de grâce, de prières et de consacrements, etc..., pour peu qu'ils en faisaient, Mani semblait satisfait.

Il retourna dans la maison de la matrone, le nourrisson entre ses bras, et vit Kita, sa jeune épouse de quatorze ans, couchée dans les soies laiteuses que ses sujets avaient confectionnées à sa guise.

« Notre fils... dit-elle, les joues aussi grasses que sa belle et suave poitrine. Puis-je enfin le prendre dans mes bras ?

— Il a hérité de ta joliesse, Kita, complut-il, les mains tendues vers la reine.

— Puisse-t-il hériter de ta magnanimité, ô tendre époux. Ce jour me comble de bonheur ! »

Elle le prit. Dans ses yeux, Mani pût remarquer l'amour qu'elle éprouvait pour ce petit.

Pourrais-je un jour éprouver les mêmes sentiments ?  se demanda-t-il.

« Quel nom comptes-tu lui donner, cher époux de ma vie ? »

La réflexion lui prit du temps, mais la réponse finit par venir.

« Il se nommera Amey.

— Comme le Griot, mon amour ? »

Cette question lui piqua quelque peu. Il avait, pour ainsi dire, une certaine aversion envers les Griots.

« Non, lune de ma vie. Amey comme mon feu grand-père, jadis roi. Que la terre m'avale si jamais un jour, je m'avise de nommer l'un de mes enfants en l'honneur d'un Griot.

— Et pourquoi donc, être de mon coeur ? sourit Kita, les dents blanches, et les lèvres,  attirantes à en faire tomber plus d'un, tandis qu'elle donnait le sein au petit.

— Parce qu'il n y a que les maux qui leur sont agréables à annoncer, chair de ma chair. »

Sa tendre épouse esclaffa. Bien que ces paroles furent des plus sérieuses, Mani feignit de sourire, et baisa le front de sa bien-aimée.

Une silhouette imposante offusqua la lumière de la porte, attirant l'attention du jeune roi. Sur le seuil de la pièce se dressait, javelot d'airain et poitrail musculeux, un guerrier arphenien. Il se prosterna, un genou à terre, et loua son souverain.

LE SECRET DE L'OMBREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant