II

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NAARA

Le brouhaha causé par les enfants arphéniens attirait de plus en plus de passants, malgré la forte canicule qui martelait le Val en cette saison pluvieuse.

Au milieu du cercle de joie qu'avaient formé les gosses du village d'Aube, se trouvait, toute pétillante de gaieté, Naara des étoiles, la reine des azizes.

Virevoltant de manière mièvre à l'aide de ses ailes de papillon, elle projetait sur l'alentour, des poussières lumineuses tantôt turquoise tantôt dorées, qui ne manquaient pas d'égayer les gamins.

Bien que les adultes ne cessaient de lui seriner que ce comportement était indigne d'une reine, Naara se plaisait sans gêne à jouer avec ces petits, en dépit de ses quelques millénaires d'existence.

Elle avait vécu longtemps. Tellement qu'elle ne se rappelait même plus son âge vraie.

« Encore ! Encore ! Encore ! » crièrent certains.

Naara s'exécuta avec emphase, et y mit plus de diligence.

Son enjouement se transformait en ebaudissements puériles, tant et si bien qu'on l'aurait prise pour une enfant.

« Voyons ! ma reine…! ». s'insurgea quelqu'un.

Cette voix féminine un tantinet plus grave que la sienne interrompit le spectacle. Une volte-face lui suffit à voir, dressée dans sa robe rutilant de paillettes dorées, Gamna, l'azize d'or.

« Cette attitude n'est pas séante ! » continua-t-elle.

Comparée à Naara, elle était bien plus grande, bien plus ferme, et bien plus belle. En somme, elle ressemblait bien plus à une reine.

Naara tordit sa bouche en cul-de-poule, et la dédaigna infantilement. Elle recommença ses virevoltes avec plus de joie que naguère, comme si de rien n'était.

« Altesse...! grogna-t-elle.

— J'entends rien, rien, rien, rien ! chanta la reine.

— Naara ! s'il vous plait ! Vous vous amuserez plus tard. Il y a quelqu'un...

— Mais enfin ! Gamna, laisse-moi tranquille, tu veux bien ?

— Je veux bien ! mais le Griot a mandé son disciple. Il souhaite vous parler ! Vous devriez venir avec moi ! maintenant ! »

Entendant ces mots, Naara cessa inopinément ses gamineries. Elle subodora un événement fâcheux.

« La dernière fois que le Griot a daigné m'adresser un message par estafette remonte à... Comme c'est idiot ! Je ne m'en souviens plus. » un sourire badaud crispa ses lèvres « Mes chers amis ! dit-elle aux enfants. Il semble que le devoir m'appelle.

— Oui ! et il vous attend aux bas des tours ! » renchérit l'autre.

Acquiesçant, Naara avança, et Gamna lui emboîta le pas.

Quelque chose ne va pas, se dit-elle. Je le sens. Son visage se chiffonnait d'inquiétude.

« Altesse ! quel mal vous ronge ! s'enquit l'azize d'or. Vous n'êtes soudainement plus aussi joviale que d'habitude ! »

Naara lui lança un regard un tantinet étonné. Elle s'en est donc aperçut. Elle a toujours eu l'œil.

Comme elles traversaient un lieu abondé d'habitants curieux, Naara lui fit signe de patienter. Autour du grand sentier qu'elles empruntaient, l'herbe verte, haute et inexorable, parsemait toutes les terres du Val, dissimulant les belles vaches grasses qui broutaient avec appétit.

Elles passaient près d'un troupeau de moutons karakul bêlant à tue-tête, lorsque Naara décida de lui répondre.

« Cela fait plus d'un siècle que je n'ai pas eu de nouvelles du Griot. Il n'a jamais été arphénien à palabrer. Quelque chose de mal approche. Je le sens.

— Je vous en prie ! altesse ! Que cessent de vous tarauder ces inopportuns pressentiments ! Vous devez garder la tête haute !

— Je dois surtout la garder sur mes épaules, Naara. Je suis l'azize des étoiles. Les étoiles me parlent très souvent. Et là, elles ne m'annoncent rien de jouissif.

— Les étoiles sont sourdes et muettes ! Seul le Seigneur de la vérité nous parle de l'avenir ! »

Elles passèrent à coté des maisons en bois qui environnaient les prés.

« Le Seigneur de la vérité ne parle qu'au Griot ! protesta mièvrement Naara, sa peau lisse et noireaude scintillant sous les rayons solaires, ses cheveux bouclés rutilant d'huile.

— Tss ! Ce sont les étoiles qui vous l'ont dit ? Dans ce cas, elles ne sont ni sourdes ni muettes ! mais nigaudes ! »

Ce brocard était sans doute trop péremptoire pour qu'elle puisse y répliquer. C'est dans le silence qu'elles approchèrent le bas des tours d'Aziza. À quelques centaines de pas, Naara pût clairement distinguer le disciple du Griot, camail en fourrure de macaque, au côté de son oiseau géant.

« Alors, dit-elle lorsqu'elle fut à quelques trois pieds de lui... quel message ce bon vieux Griot souhaite-t-il m'adresser ? Comment te nommes-tu déjà, toi ? Fati? Nati?

— Gaki était l'un de mes prédécesseurs ! répondit le disciple. Je me nomme Ôlho, Votre altesse.

— Bien, enchantée, Ôlho. Je suis prête à écouter ce que ton maitre a à me faire entendre.

— Il souhaite, permettez-le, Votre altesse, vous en parler lui-même. »

Mes craintes se confirment, se dit-elle.

Elle jetta ensuite, à l'encontre de Gamna, un regard inquiet qu'elle tenta d'occulter.

« Parfait ! convint-elle en reconsidérant Ôlho. Je n'ai jamais vraiment apprécié les secondes mains, sans vouloir t'offusquer, cher apprenti Griot. » elle indiqua d'un signe l'oiseau géant « Je présume que c'est notre moyen de transport...?

— Oui, ne vous déplaise, altesse ! répondit Ôlho, déférent.

— Ça ne me déplait guère, voyons ! s'ébaudit-elle, aussi mièvre que d'habitude. Mes ailes ne m'ont pas été offertes pour survoler de longues distances. Et les hautes altitudes, encore moins. »

Quelques frêles battements d'ailes lui permirent de se jucher sur le volatile. Sans broncher ni sourciller, Ôlho l'y rejoignit.

Comme l'oiseau était sur le point de décoller, Naara confabula :

« Garde nos soeurs et les enfants, Gamna ! Je les laisse entre tes mains. »

Celle-ci acquiesça.

« Mes mains sont vôtres ! altesse ! »

LE SECRET DE L'OMBREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant