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ÔLHO

Seuls le chant des animaux nocturnes et le bruit du ruissellement de la rivière, se faisaient entendre sous cette pleine lune sans étoile.

Ôlho scrutait le cours d'eau avec zèle, guettant le moindre serpent-lune qui daignerait se montrer hors de son terrier.

Ces reptiles étaient très prisés par les gens du coin, car, tous savaient que leurs crochets pouvaient aspirer le poison injecté dans un être vivant, et tous savaient qu'il était préférable de les chercher durant la nuit. Dans le noir, les petites lumières bleues qui luisaient un peu partout sur leurs écailles, ne mettaient pas longtemps à taper dans l'oeil.

Malheureusement pour Ôlho, cette nuit-là était tout sauf sombre. La pleine lune, rayonnant à merveille dans le bleu sombre du ciel de mi-nuit, ne lui facilitait guère les choses. Tant d'heures avaient déjà passé, sans qu'il ne pût attraper ne fût-ce qu'un frêle serpenteau.

La lumière du soleil violaçait déjà les monts du levant lorsqu'un serpent-lune, tout luisant de lumières turquoises, planta ses crochets dans le flanc d'un poisson. Le bruit du tortillement sur l'eau attira l'attention d'Ôlho.

Un geste diligent lui permit d'empoigner la queue rocailleuse du reptile. Il le souleva et l'observa de plus près. Le serpent-lune tenait toujours juché entre ses crocs, la proie qu'il avait capturé naguère.

Un bien sombre tableau que voilà! se dit Ôlho. Le chasseur finit par se faire chasser, et le tueur, par se faire tuer.

Se rendant compte d'avoir déjà pas mal lambiné sur cette tâche, le jeune arphénien entreprit son retour à travers cette forêt aux grands arbres. "La forêt de Soleil-Rouge".

Sur le sentier étroit qu'il arpentait, se dressaient de délicieux fruits sauvages qui exhalaient une séduisante candeur. Mais, faute de temps, Ôlho jugea mieux de bifurquer vers l'Est, gravir les vertes collines qui décoraient magnifiquement le paysage, et atteindre la Grand-montagne, où, dans sa retraite, le Griot donnait toutes les leçons à son disciple.

La montagne avait déjà arboré sa splendide pâleur lorsqu'Ôlho en atteignit le sommet. Ses yeux d'un brun mielleux pouvaient apercevoir la neige et le brouillard s'imposer sous le mutisme du pic. Le vent cinglait mélodieusement ses oreilles aux extrémités pointues d'arphénien, tant et si bien qu'il n'entendait que ce chant de brousse.

Le soleil ardent martelait la peau basanée du jeune apprenti, quand un bon coup d'oeil au loin, suffit à lui faire remarquer entre les marbres qui leur servaient d'abris, son maitre, toge noir en fourrure de singe, cheveux ébènes et frisotés, visage plongé dans sa besogne... Que pouvait-il bien traficoter dans ce bassin en marbre violacé ?

« Maitre ? » dit-il lorsqu'il parvint à lui.

Celui-ci ne releva pas le regard.

« Il me parle, marmona-t-il. Le Seigneur de la vérité me parle...! »

Ôlho n'apprehenda pas ces mots. Un cri d'agonie vers sa droite, à quelques pas, lui fit apercevoir dans une cage dorée, l'oiseau au plumage roux dont le corps se mourait à cause d'un poison.

« Maitre, c'est moi. Ôlho.»

Quoique l'apparence du Griot fût celle d'un jeune adulte, Ôlho savait qu'il était vieux d'environ trois siècles, tout au plus. Cette faculté de longévité lui fut acquise, lors de son sacrement au titre de Griot par son maitre avant lui. Il se pouvait donc, se disait-il, qu'il commençât à avoir quelques troubles de la mémoire dont la cause serait la vieillesse.

LE SECRET DE L'OMBREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant