IV

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NAARA

Elle ressentit des haut-le-cœur quand Plume-Rouge entreprit d'atterrir sur le pic enneigé de la Grand-Montagne.

Sur l'oiseau géant, elle pouvait déjà apercevoir le Griot, son visage sombre comme en un jour de deuil.

Elle s'efforça de reprendre son entrain. Pendant ce temps, le ciel, aussi sombre que son humeur, faisait tonner l'orage.

Une ère de disgrâce ! se disait-elle. Tout semblait tourner contre sa volonté. Car, en plus de détester le froid, Naara maudissait les averses. Ses imprécations qualifiaient souvent la pluie de "mauvais augure".

« Quelle allégresse de vous revoir après tant d'années, Griot tant aimé ! pérora-t-elle, lorsqu'elle calma ses convulsions, et aperçut Mani arriver aux pas de course sur son grand ours nandi. J'aurais malgré tout souhaité que ce soit dans des circonstances moins disgracieuses. »

Le Griot darda un regard blameur à l'égard de son disciple, qui s'apologisa d'un signe.

« M'est impression qu'il est inutile de vous détailler la situation.

— L'heure est grave, nous le savons ! se manifesta péremptoirement le jeune roi, descendant sa monture.

— Et que savez-vous d'autre ?

— Nous savons que nous courrons à notre perte en passant ainsi le temps, cher ami ! » dit-elle avec cette expression faussement égayée.

Le Griot grogna calmement.

« Croyez-moi, nous avons suffisamment de temps avant que le mur ne s'effondre.

— Oui, mais combien ? s'enquit Naara.

— Trois jours ! Peut-être moins.

— Je vois... Vous nous croyez donc si benêts, persifla Mani. Mais vous n'êtes qu'un piètre féticheur, mon pauvre. Un oiseau de mauvais augure. Que l'auguste assemblée veuille bien m'excuser, mais j'ai mieux à faire que d'écouter les inanités sempiternelles d'un vieux fou. » il vira des talons pour se dérober.

Non... Pas encore... Pas une fois de plus, fit en écho la voix de Naara dans sa tête.

Son visage était froissé de stresse. Néanmoins, elle s'efforça de badiner à Mani :

« Voyons, allègre roi, ne partez pas avant la fin du théâtre. » puis au Griot :

« J'ai du mal à appréhender votre notion du temps, cher Griot.

— Nous serons tous préservés si vous agissez tel que je dirai.

— Eh bien, nous sommes toute oreille. »

De quelques pas, le Griot se jucha sur un angle de la montagne, d'où il devait apercevoir, dans le vide, les nuées d'oiseaux volant au-dessus des vertes collines.

« Gardez-vous de la peur. Car c'est elle qui vous mènera à l'extinction. Dissipez-la de vos esprits. Et si vous ne pouvez, occultez-la tant bien que mal. Le conseil ne pourra point faire de même. Soyez prêts, altesse, majesté, à faire face à leur panique. Soyez hardis ! Car la panique ne connait guère de tendresse. »

À ces mots, Naara comprit quel était le véritable danger. La peur !  Et elle nichait au plus profond de son cœur.

Ses mains commencèrent à frémir lorsqu'elle remémora ce jour où ses sœurs et elle avaient machiné contre ces créatures.

Elle la connaissait, la vérité. Mais le poids de la culpabilité pesait lourd sur sa conscience.

Elle replongea dans ses souvenirs, lorsque le désert au delà du mur de gemme était encore une belle et luxuriante forêt à la terre fertile, aux arbres fructueux, et aux animaux abondants. La forêt des  premières nuits.

LE SECRET DE L'OMBREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant