La lumière du monde s'en est allée.
Le Mal, l'Ombre et tous les vices l'ont remplacée.
Telperion et Laurelin assassinés,
Les Silmarils volés, la paix s'est écroulée.
Oh cruel destin ! Tu me demandes détestablement
De trancher entre l'amour et l'amitié ; pourtant
Mon cœur blessé ne peut se résoudre à choisir
Entre rester sur cette terre ou partir.
Oh Amour ! Enfants ! Quelle inexplicable envie
Vous poussent à déserter ce beau et grand pays
Où vous naquirent et vécurent dans la joie,
La beauté et la bonté de chaque Vala ?
Oh Fingolfin, gardien de mon âme, où vas-tu ?
Tout ce que tu avais ne te suffit donc plus ?
Ne te jette pas dans cet hostile inconnu
Car je pressens pour vous tous d'horribles visions :
Une mer de sang, des nuées de désolation
Et des vies par milliers tombant tels des flocons.
L'Aventure est l'amante la plus dévorante
Qui me condamne à la solitude et l'attente,
Mais Fingolfin, mon roi, je t'en prie ne pars pas !
Une ombre invisible s'est abattue sur toi
Et seul Mandos sait quand j'entendrais ta voix,
Tes pas, et t'étreindrais à nouveau dans mes bras.
Mes fils, sang de mes veines, beauté de mon âme,
Abandonnez vos arcs, vos armures et vos lames.
Aimez l'harmonie, la vie, la simplicité !
Le grand frisson et l'attrait de la nouveauté
Seront-ils toujours exaltants quand viendra l'heure
Des massacres sanglants, des guerres et du malheur ?
Ne regretterez-vous pas un jour, un instant
La tranquillité de votre foyer aimant ?
Pourquoi vous donner en pâture à l'ennemi
Et offenser celui qui vous offrit la vie
En sacrifiant votre don d'immortalité ?
Vous n'êtes pas invincibles, fils effrontés !
Fingon, ami fidèle, hardi et vaillant ;
Turgon, aimé d'Ulmo, sage et intelligent ;
Argon, courageux guerrier sous des aspects doux ;
Le sombre manteau de Mandos plane sur vous.
Aredhel ! Blanche et pure étoile des forêts !
Oh ma fille, mon cygne, je t'aime, tu le sais,
Et malgré tout, tu me quittes également,
Me laissant ton simple souvenir rayonnant
Faible et pâle face à ton éclat, mon enfant.
Je t'aime plus que moi-même et la vie ; pourtant
Je suis incapable de t'empêcher de fuir
Vers des contrées lointaines où je te sais souffrir
Et périr ; tomber dans les filets du destin.
Ma belle et forte chasseresse du matin,
Faut-il donc que tu préfères tout ces sept frères
A celle qui ne peut pas vivre sans toi, ta mère,
Pour me laisser sans un regard en arrière ?
Mais alors, quand tu auras tant de choses à faire,
Dame blanche des Noldor aie une pensée
De mon souvenir lors de ta longue épopée.
Notes : Ici petit retour en arrière chronologiquement, nous sommes au moment du départ des Noldor de Valinor. La famille de Fingolfin part mais sa femme Anairë décide de rester par amitié pour Earwen, une femme d'Alqualondë. Pourtant comme vous pouvez l'imaginer, elle préfèrerait que toute sa famille fasse également ce choix.
J'ai ici l'image d'une femme pacifique, douce et qui ne cherche ni l'aventure, ni le changement et qui ne comprends donc pas l'envie de son mari et ses enfants. Elle cherche donc à les retenir et souffre de ne pas pouvoir le faire. Encore une fois ce n'est que ma propre interprétation.
On trouve dans ce poème de nombreuses anticipations dans le futur de ce qui arrivera à sa famille et à juste titre ce n'est pas joli-joli car tous mourront lors du Premier Age. J'ai donc essayé de rendre plusieurs voix : celle d'une femme qui aime son mari, une mère de jeunes et impétueux garçon, et une mère qui aime profondément sa seule fille et sa cadette.
Lorsque j'énumère les noms de ses fils, j'ajoute des caractères qui font références à leur futur (comme "ami fidèle" car Fingon ira délivrer Maedhros, fils de Fëanor, capturé par Morgoth malgré la trahison de son père ; ou encore "aimé d'Ulmo" car Turgon reçoit l'apparition de ce Vala qui lui montre un endroit secret pour son peuple). Tous ces petits détails que j'espère que les grands fans auront reconnu. Je mentionne aussi "les sept frères", qui sont bien sûr les fils de Fëanor, dans le moment consacré à Aredhel car elle entretenait une grande amitié avec eux.
Et bien sûr encore une fois, j'espère que cela vous a plu (et ici, ému).
Crédit de l'image : toujours @_yidanyuan_
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