Ray n'avait jamais expérimenté la tristesse à proprement parler. Certes, il avait déjà versé deux larmes quand l'une des nourrices de l'orphelinat lui avait annoncé que le petit lapin dont il s'était entiché était mort. Mais c'était il y a quinze ans et depuis il s'était rarement surpris à ressentir une émotion pareille.
Aujourd'hui, étrangement ce sentiment avait refait surface, brutalement. Pourtant sa journée avait commencé comme toute autre avant elle.
Sa routine quotidienne se limitait à: se réveiller, boire un café parfois un thé, fumer, prendre une douche et aller bosser. Puis, il se rendormait pour recommencer ce cycle encore et encore. Une mélodie monotone dont il était le seul interprète mais qu'il adorait malgré son peu de saveurs et de nouveautés.
Son travail n'était pas si exceptionnel d'ailleurs. Il était bibliothécaire. C'était, d'après certains, le boulot le plus chiant et ennuyant au monde, qu'on réservait surtout aux gens âgés qui n'avaient rien à faire dans la vie ou aux étudiants en mal d'argent. Mais, lui il aimait ce qu'il faisait. Déjà qu'il était naturellement ennuyant et chiant, il avait une passion non feinte pour la lecture.
Pendant ses heures de travail, il profitait également des nombreux ouvrages qu'offrait la bibliothèque, confortablement installé derrière un ordinateur. Aujourd'hui, il eut une petite nouveauté dans sa routine. Pas si exceptionnelle mais c'est d'elle que vient son mal-être.
Les grandes portes de l'édifice s'étaient ouvertes ce matin sur une blonde dont l'identité ne lui était pas inconnue. Elle s'appelait Gilda. Calme et douce. Elle aussi avait partagé son expérience à l'orphelinat duquel il était issu. Mais, à part Norman et Emma, Ray n'avait jamais vraiment gardé contact avec les autres enfants. Il n'en avait jamais vu l'intérêt.
"- Tu as beaucoup changé !
- Toi aussi."
Physiquement, elle n'était plus la même petite fille dissimulée derrière ses longues mèches blondes et ses grandes lunettes rondes. Elle avait gagné en taille, sa chevelure d'or était coupée dans un carré parfait et ses grands yeux verts étaient à présent souligné d'un trait d'eye-liner derrière ses lunettes en demi-lune.
Elle ressemblait presque à une poupée. Aussi douce et fragile qu'une image."- J'ai appris pour les fiançailles d'Emma et Norman. Je suis trop contente pour eux.
- Moi aussi."
Il n'avait pas mis un quelconque enthousiasme dans ces mots. Ils lui semblaient vides, dépourvus de sens. Un simple mensonge qu'il répétait tellement de fois qu'il avait l'air de plus en plus vrai. Il s'y perdait lui-même.
Gilda n'avait rien remarqué et continuait de lui sourire avec tendresse. Elle souriait toujours comme ça.
"- D'ailleurs, j'ai été invité et je suis l'une des demoiselles d'honneur. Tu sais, j'ai toujours su qu'ils finiraient ensemble. Même si j'avais mes doutes en voyant votre trio ! Je me souviens que j'imaginais des couples, du genre Emma et toi ou...Norman et toi. Mais ça aurait été étrange, en y repensant."
Il avait perdu le fil de la conversation après ça. Il pense avoir juste répondu à demi-mots. Avant de la voir s'en aller, la saluant d'un sourire qui lui avait fait mal aux joues.
"Tu sais, j'ai toujours su qu'ils finiraient ensemble."
Comment lui ne l'avait-il pas vu depuis le début alors ? Pourtant, ils avaient tout partagé, tout vécu ensemble. Cette immonde sensation de rejet avait fait son grand retour, l'obligeant à faire un détour après sa dernière heure de travail. Il avait tourné à un carrefour et était arrivé devant un bâtiment qu'il n'avait plus vu depuis plusieurs années.
Les mots "Grace field House" s'élevaient fièrement sur la peinture beige et décrépite de la vielle bâtisse. Les femmes qui s'activaient autours des enfants avaient immédiatement cessé leurs activités en le voyant. Elles l'avaient observé drôlement, comme un ovni venu d'une galaxie éloigné. Mais, les plus âgés d'entre elles avaient reconnu un de leurs fils. Un des mômes qu'elles avaient élevé jusqu'à ce qu'ils puissent voler de leurs propres ailes.
"- Ça fait tellement longtemps Ray, on ne te voit jamais dans le coin !
- Je ne viens jamais non plus...
- En tout cas, ça fait du bien de te revoir. Quel homme ! Tu as bien changé. Mais dis-moi, qu'est-ce que tu fais ici ? Tu n'es pas occupé ?"
Non, il ne l'était jamais. Sauf si on qualifiait d'occupation les longues heures qu'il passait dans sa chambre à lire. À part ça son travail ne lui prenait qu'une demie-journée et il passait le reste à ne rien foutre. Il culpabilisa un peu de s'être autant éloigné de cet endroit contrairement à ses amis qui y venaient au moins une fois par semaine....
"- Non, je ne fais que passer."
"Grace field House" avait vieillit avec les années, mais restait la même maison chaleureuse et accueillante pour tout les enfants que la vie avait privé de leurs parents.
En plus d'être gigantesque et d'avoir la meilleure collection de livres au monde, l'orphelinat possédait également une cour arrière qui s'étalait sur plusieurs kilomètres de terrain. Et au centre de cette fameuse cour sur une petite colline qui s'élevait au-dessus du paysage de fleurs et de verdures, reposait un grand arbre qui avait longtemps servi de siège personnel à trois gosses hyperactifs.
Ray se souvenait parfaitement des journées entières qu'ils passaient avec Norman et Emma à se courir après autour de la plante ou les soirées et les après-midis en solitaire pendant lesquels il lisait sous les branches protectrice de cette arbres aussi vieux que la structure toute entière.
Aujourd'hui, elles le protégeaient encore des brûlures du soleil mais ne pouvaient rien faire contre la tristesse qui l'envahissait peu à peu. Il ne retint même pas les larmes qui s'étaient tracé un chemin sur son visage de porcelaine.
Il ne pouvait pas. Contrairement à tout ce qu'il se forçait à croire, il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas recommencer de zéro sans eux. Ils l'avaient sorti de la solitude, Ray n'aurait jamais pensé qu'ils seraient les premiers à l'y replonger. Le noiraud renifla bruyamment quand deux mains se firent sentir sur ses épaules.
"- Peu importe à quel point tu doutes de moi, je serais toujours là pour toi.
- Je vais commencer à croire que tu me suis partout.
- C'est peut-être le cas ou peut-être pas. Je viens ici tout les jeudis. Et nous sommes Jeudi.
- Oh.
- Tu n'as pas à te morfondre ainsi. Peu importe où tu iras. Je serai là pour toi. Jusqu'à ce que la mort nous sépare, pas vrai...?"
Jusqu'à
Ce
QueLa
Mort
Nous
Sépare...
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𝘈𝘱𝘢𝘳𝘵
Fiksi Penggemar_Il était à part. Une tâche d'encre trop large sur la surface immaculée du monde.