La Bataille de la Marche de la Soif III : La Rescapée

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La haute cime des arbres surplombait Shaiélaè et leur vaste feuillage frémissait sous la bise. Tant ils étaient grand que le campanile du temple de Taillemont aurait pu entier tenir entre deux troncs. Un doux tapis de mousse, de feuille et de bruyère tapissait le sol sur lequel était allongée, logée entre les racines tordues épaisses comme des chênes centaines et un bosquet de sumac vénéneux, véritable forêt sous la forêt.

"Suis-je morte ? "

Seul le souffle du vent et le vrombissement des insectes venaient troubler la quiétude des lieux. Et un rayon de soleil perçait à travers la futaie pour se poser exactement sur le visage de la petite elfe. Ce soleil la brûlait, et l'éblouissait.

Il fallut un effort colossal à Shaiélaè pour réussir à se lever et se décaler de quelques mètres. Elle se laissa enfin tomber d'un bloc sur l'humus frais , profitant de l'ombrage retrouvé. Ou non. Un vicieux éclat étincelant perçait également la pénombre à cet endroit, où elle était pourtant certaine de l'avoir vu dans l'obscurité. L'astre martelait  son crâne, l'aveuglait en dépit de ses efforts pour se couvrir les yeux de la main. Shaiélaè se leva, s'enfuit. Le soleil la poursuivi où qu'elle se réfugie. Aucune feuille, aucune branche ne semblait pouvoir l'en protéger. Elle couru, poursuivie par le rayon et le bourdonnement de plus en plus intense des insectes. La panique la gagna. Elle ne voyait plus rien, n'entendait plus rien. Elle courrait à l'aveuglette harcelée par le bruit et la lumière, s'épuisant en vain de s'en protéger. Son pied dans sa course frénétique, se posa dans le vide et avec horreur, elle tomba, tomba, tomba...

Ses yeux s'ouvrirent d'un coup, ses poumons s'ouvrirent en grand en quête désespérée d'un peu d'oxygène. La flamme du soleil pénétra ses pupille, brûla ses yeux. Shaiélaè les referma aussitôt et poussa un cris qui se noya dans la masse de ceux qui résonnaient tout autour d'elle, aux quatre coins du champs de bataille. La petite elfe resta un instant à haleter penchée sur la terre. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Une douleur atroce le bloquait la poitrine à chaque inspiration, comme jamais elle n'en avait connu avant.

Finalement habituée à la luminosité, elle osa jeter un œil autour d'elle. Elle était allongée au milieu de dizaines, de centaines, de milliers de corps qui jonchaient la vallée à perte de vue. Un essaim de mouche tourbillonnait autour d'elle. Les insectes se posaient sur sa peau pour s'y nourrir de sa sueur et de son sang. Le soleil amorçait sa course descendante à l'horizon. Il allongeait les ombres et rougissait peu à peu l'atmosphère, mais ses rayons dardaient encore cruellement.

La mémoire lui  revenait peu à peu... Ils avaient trouvé les légions qui remontaient depuis le sud et derrière eux, le Domaine Aldméri arrivait. Elle avait passé la nuit à patrouiller et ne s'était endormie qu'à l'aube... pour se voir réveillée une poignée d'heures plus tard par l'ordre de se mettre en route. Ils avaient marché vers la vallée où la bataille faisaient rage. Elle avait vu les lignes interminables de soldats se faire face et s'entrechoquer.  Sa cohorte longeait la crête des collines jusqu'à prendre place à l'extrême bord de la bataille, là où les formations s'arrêtaient brutalement.

Shaiélaè tenta de se relever. Ce mouvement lui arracha un gémissement. Un étau lui broyait la poitrine. La douleur insoutenable la força à se rasseoir, le temps de reprendre sa respiration. D'un geste agacé de la main, elle chassa les mouches qui tournoyaient autour d'elle. La bataille était finie, de toute évidence. Il n'y avait dans la vallée plus l'ombre d'un combat. Mais la petite elfe aurait bien été en peine de deviner lequel des deux camps en été sorti vainqueur et elle s'en fichait. Tout ce qui lui importait pour le moment, c'était de s'en aller d'ici. Le plus vite possible. Et boire. Jamais de sa vie elle n'avait eu la bouche si sèche.

Honneur et AmertumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant