Chapitre 38

700 53 5
                                    

Lorsque nous arrivions sur place, il était trop tard. La Marque des Ténèbres flottait au-dessus de l'échoppe solitaire d'orfèvrerie, dont la porte n'était plus retenue que par un gond. Le vent écossais, violent même en ce début du mois de juin, la faisait claquer, menaçant de s'effondrer à tout instant. Le silence régnait, mais Remus et moi avancions baguette en main. Nous échangions un regard et il hochait la tête. Je me glissais dans la boutique dont la vitrine avait explosé en un million d'éclats de verre. Je n'avais pas fait un pas qu'une odeur rance et métallique me sautait à la gorge. Du sang. Étalé sur le sol en traînées macabres, éclaboussé sur les murs. Une flaque s'étendait derrière le comptoir, d'où dépassaient de trop longs doigts pour appartenir à un être humain. Des pièces d'une valeur inestimable en argent ou en or massif jonchaient le plancher.

    – Tu crois qu'ils cherchaient quelque chose de précis ? demandais-je à mi-voix à mon compagnon.

Nous échangions un nouveau regard entendu. Nous pensions tous deux à la même chose : les mangemorts n'avaient pas besoin d'un but précis pour semer la mort et le chaos. Cela ne m'aurait pas étonné que ceux-là aient simplement voulu rappeler à ces gobelins la place qu'ils leur attribuaient dans leur vision du monde. Au même titre que les elfes de maison ou les moldus, tout en bas d'une hiérarchie dominée par les sorciers de sang-pur. Le chaos, même au cœur de la nature écossaise, loin de toute civilisation...

Je refoulais mon dégoût à cette idée et avançais précautionneusement jusqu'au comptoir. Le cadavre était sévèrement mutilé. Je me penchais et fermais précautionneusement les yeux noirs de la créature. Plusieurs secondes s'étiolaient sans que je n'esquisse un geste, accroupie près de la dépouille. La chape de plomb qui pesait sur mes épaules depuis la mort de Marlène semblait s'être encore alourdie. J'avais dépassé un tel stade d'abattement où mes yeux ne parvenaient même plus à s'embuer.

En prenant une grande inspiration résignée, je me redressais pour poursuivre mon chemin. La tenture arrachée devait auparavant dissimuler le petit couloir qui menait à l'atelier. Un escalier sur ma droite menait à l'étage. Je sentais Lunard poser la main sur mon épaule, m'indiquant d'une pression qu'il se chargeait du niveau supérieur. Des cadres étaient tombés de leurs accroches et je repérais des marques de brûlures, là où les sorts avaient ricochés le long des murs. Je parvenais enfin dans l'atelier, sans dessus dessous et véritable bain de sang. Le cœur me montait aux lèvres. Deux autres gobelins gisaient, l'un affalé sur l'établi, marteau à la main, l'autre adossé au fond de la pièce, le corps tordu dans un angle anormal. Chacun avait le visage strié de balafres ensanglantés. Je raffermissais ma prise sur ma baguette, furieuse. Je fermais également leurs paupières dans un geste empreint de douceur et de déférence. Lunard revenait à cet instant. Il embrassait la scène du regard.

    – Trois autres en haut, annonçait-il d'une voix blanche.

Je lâchais un soupir.

    – Rassemblons-les à l'avant du magasin.

Il acquiesçait et disparaissait dans le couloir.

    – Wingardium Leviosa, murmurais-je en faisant tournoyer ma baguette.

Les deux corps rompus s'élevaient dans les airs et je les guidais avec la plus grande vigilance jusqu'à l'entrée. Remus avait déjà fait apparaître un immense linceul où reposaient les autres défunts. Je rabattais délicatement la toile sur les visages des morts puis nous nous recueillions un instant.

    – Allons-nous-en.

Je suivais le jeune Lupin dehors. La lumière du jour illuminait les montagnes environnantes. La vallée dans laquelle nous nous trouvions offrait une superbe palette de nuances vertes et bleues. C'était un lieu isolé au plus profond des Highlands, loin des sorciers comme des moldus, à la beauté poignante. Mais Celui-Dont-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom était parvenu à le profaner. Un autre soupir s'échappait de mes lèvres.

Une Lune d'or et de noir [ANCIENNE VERSION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant