Je veux mourir !

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En sortant de la clinique, je marche comme une somnambule. Je suis devenue un automate vivant. Thelma me tient le bras pour que je la suive. Je ne contrôle plus mon corps, mes jambes avancent sans que je puisse les dominer. Les larmes coulent le long de mes joues sans interruption.

....
Ma mère nous attend dans l'allée debout adossée à sa voiture. Je passe à côté d'elle sans la voir. Je monte les marches une à une machinalement. Je plonge dans mon lit et me recouvre de la couette. À partir de ce moment-là, je pleure, je pleure sans discontinuer pendant des heures. Mon cœur est en lambeaux, fracassé en mille morceaux !

Thelma veux s'allonger à mes côtés et me consoler mais ma mère pense que c'est mieux pour le moment de me laisser seule face à mon chagrin. Elle a raison, je ne veux voir personne même les personnes qui me sont les plus chers. Je pense à cet enfant que je porte. Son corps est dans ma chair mais son âme est au paradis. Je prie pour que cette éventualité soit réelle. Je me pose trop de questions. A-t-il souffert ? S'est-il vu mourir ? A-t-il pensé à moi ? A-t-il cru que je ne l'aimais pas ? A-t-il pensé que je l'abandonnais ? S'est-il senti seul ? Tant de questions sans réponse, c'est une véritable torture ! Elle tourne en boucle dans ma tête. Je culpabilise, je suis une mauvaise mère. Je n'ai pas su le protéger ! Je n'ai pas su le garder ! Si je l'aurais plus aimé, plus désiré peut-être serait-il encore avec moi aujourd'hui ? Je veux rester auprès de lui, qu'on ne soit jamais séparé.

Ma mère me dépose un plateau sur la table de nuit.

- Je sais que cela doit être vraiment difficile pour toi Kristy. Mais se serait bien que tu manges un peu. Je t'ai mis du potage, ça passera plus facilement. Je te laisse, si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis en bas avec Thelma.

Et comme à son habitude, elle m'embrasse sur le front avant de partir aussi discrètement qu'elle est arrivée. Le potage est froid depuis longtemps quand je m'assoupie.
Ma mère et Thelma sont restées auprès de moi toute la nuit. Le plateau est débarrassé et elles s'affairent en cuisine.

À mon réveil, je me sens aussi mal que la veille, voire pire. Je ressens une sensation de néant. Je me lève péniblement, j'ai la tête qui tourne. Porté par une pulsion, j'avance jusqu'à la terrasse. Mes mains agrippent la balustrade. Je pose mes pieds sur la barrière et je monte. Debout en équilibre, je fixe l'horizon. Le regard aussi éteint que mon esprit je lâche mes mains de la balustrade, seuls mes pieds me retiennent du sol. Je penche la tête vers le vide. Christopher est en bas sur la pelouse. Il me regarde droit dans les yeux. Il ne parle pas mais je comprends ce que ses yeux me disent : ne saute pas Kristy ! Je t'en supplie, ne saute pas ! Cela me déstabilise et je manque de tomber. Je me rattrape à temps à la balustrade.

- J'arrive Kristy, surtout ne bouge pas !

Je tombe comme une masse sur la terrasse. En boule comme un chien apeuré, j'éclate en sanglots. Je n'arrive pas à croire qu'après avoir autant pleuré, les larmes peuvent encore couler.
Christopher arrive en courant mais soulagé que je n'aie pas sauté. Il me prend dans ses bras et me berce. Je lâche prise, je déverse toutes les larmes de mon corps.

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Je prends ma douche à la Bétadine, deux fois comme l'a spécifié la gynécologue. J'ai le trac, apparemment c'est une opération anodine mais aucune opération n'est sans risque.  Je suis à jeun pour l'anesthésie générale, ça tombe bien, je n'ai pas faim.

Mes proches m'accompagnent, mon père conduit, ma mère est assise à côté de lui, Thelma et Christopher sont assis avec moi à l'arrière. Je vais bientôt devoir dire adieu à mon bébé. Je n'en ai pas envie, cela me semble insurmontable ! Thelma m'a prise par la main discrètement. Je la serre fort.

Nous sommes déjà arrivés ! J'appréhende l'intervention mais mes proches me rassurent. Je me vêtis d'une blouse opératoire, d'une charlotte et de chaussons opératoires. Le Docteur Thomas se rend dans ma chambre pour m'expliquer le déroulement de l'opération. Elle m'annonce qu'elle va aspirer mon bébé. Mon Dieu, mais quelle horreur ! Je suis sous le choc. Je lui demande s'il n'y a pas un notre moyen de procéder. D'après elle, c'est le moyen le plus sûr pour préserver ma santé et pouvoir porter d'autres enfants plus tard. Je n'ai d'autres choix que de lui faire confiance. Elle me tend une ordonnance : antalgiques, contraceptifs et .... j'ai une vision, slips filets jetables ? C'est une blague ! Je découvre qu'un avortement est semblable à un accouchement. Je vais avoir une perte de sang d'environ trois semaines. Dans les premiers jours, l'écoulement sera important ce qui explique les slips filets jetables. Cela permet de ne pas tacher mes propres sous-vêtements.

Les brancardiers viennent me chercher, allongé dans le lit j'embrasse ma famille. Ils ont tous un mot réconfortant.

- On t'attend ici, à ton retour du bloc opératoire, on sera tous là !

- Ne t'inquiète pas tout se passera bien !

Je parcours le trajet sur mon lit, poussé par les brancardiers. La tension monte !
Il fait froid dans la salle de transfert. L'anesthésiste me pose les mêmes questions que l'infirmière en arrivant dans ma chambre tout à l'heure.
Je sens que je vais me remettre à pleurer. J'ai un trou béant dans le cœur. Les mains sur mon ventre, les yeux fermés, je parle à mon petit ange. Je ne peux me résoudre à lui dire adieu. Il n'est pas encore parti, pourtant je me sens complètement vidée de l'intérieur. Un gouffre s'est formé dans mes entrailles. Je suis seule comme jamais auparavant. Je n'ai jamais ressenti autant de souffrance de toute ma vie. Je ne serais plus jamais la même. Mon cœur est maintenant anesthésié au bonheur, meurtri pour toujours. Je ne rencontrerais jamais, celui qui a fait de moi, une mère pour la vie.

....
Le lit roule de quelques mètres puis s'arrête en salle opératoire. Il fait encore plus froid qu'en salle de transfert. On me soulève et me dépose sur la table opératoire. Le Docteur Thomas est bienveillante tandis que l'anesthésiste tente de me détendre. Il pose un masque à oxygène sur mon visage. Celui-ci recouvre l'intégralité de ma bouche et de mon nez.

- Détendez-vous mademoiselle Watters, pensez à quelque chose d'agréable, quelque chose que vous aimez !

La dernière chose à laquelle j'ai pensé avant de m'endormir est à mon petit ange.

....
- Mademoiselle Watters ! Réveillez-vous, vous êtes en salle de réveil. Tout s'est bien passé, on va vous ramener dans votre chambre.

Voilà, c'est fini ! Finalement, tout s'est passé à la vitesse de l'éclair. Mon petit ange n'est plus ! Je suis parti avec lui.

KRISTY Les emmerdes arrivent aussi aux étoiles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant