France - Avril 2020
Cela faisait un mois et demi que le pays, à l’instar de nombreux autres à travers le monde, était confiné en raison d’une pandémie. Tous les habitants, à quelques exceptions près, s’étaient rués dans les commerces alimentaires afin de préparer des stocks apocalyptiques de denrées non périssables et de papier hygiénique par peur d’une pénurie. Kévin, malgré ses grands airs supérieurs, n’avait pas fait exception et y avait laissé une bonne partie de son allocation chômage.
Ce dernier, du haut de ses vingt-cinq ans, n’avait pas de grandes ambitions dans la vie si ce n’est de conserver ses droits allocatifs en travaillant le moins possible ou, comme il aimait le dire, travailler moins pour gagner plus. De fait le virus identifié sous le nom de SARS COV 2 qui lui permettait un prolongement automatique de ses droits et de ses “revenus” sans justifications aucunes s’avérait être du pain béni pour celui-ci. Grâce à cette épidémie il avait pu mettre en place une routine bien huilée, changeant à peine de ses habitudes, consistant à se lever à la mi-journée, binger des séries sur Netflix pendant qu’une de ses mains allait du paquet de chips à sa bouche, fumer, manger et dormir au lever du jour. Ces journées ne manquaient pas de l’épuiser et il se réjouissait d’avoir fait suffisamment de provisions pour les douze prochains mois de manière à ce qu’il n’ait pas à dépenser d’énergie supplémentaire, sans oublier la plaie que représentait l’obligation de remplir une attestation de déplacement dérogatoire dès qu’il s’agissait de mettre un orteil en dehors de son logement !
Lors des deux premières semaines, une fois sa réserve pandémique constituée, il mît un point d’honneur à écouler la marchandise périssable, et ne s’était plus nourri ensuite que de pâtes aux œufs agrémentées de fromage râpé dont il avait congelé certains sachets pour allonger leur durée de conservation. Malheureusement ce régime quotidien, constellé de grignotages où la malbouffe avait la part belle, mît à mal son système digestif ce dont il ne s’aperçut que trop tard. Depuis quelques temps il s’était rendu compte que ses besoins naturels devenaient de plus en plus difficiles à honorer et il subissait de plus en plus fréquemment de violentes crampes d’estomac impossibles à ignorer.
Un jour, n’y tenant plus et ne parvenant pas à rester concentré sur son film alors que la grande révélation de ce dernier allait se faire, il se leva précipitamment et courut presque jusqu’à ses WC tout en défaisant son pantalon, une fois la mise en pause activée. Arrivé à destination, le vêtement sur les chevilles, il se jeta presque en position assise sur le siège et poussa. Rien ne se passa hormis l’augmentation de l’intensité de ses crampes stomacales. Il reprit sa respiration, constatant essoufflé qu’il avait retenu cette dernière, et recommença sans que sa nouvelle tentative soit couronnée de succès. Ne perdant pas espoir de se sortir d’une situation aussi inconfortable qu’humiliante, il leva les genoux comme il l’avait si souvent fait pour faciliter l’opération sans que cela n’y change rien. Il se tortilla ensuite sur lui-même sans trop savoir pourquoi mais persuadé que toutes les techniques étaient bonnes à prendre.
Il poursuivit ainsi ses tentatives, refusant d’abandonner devant leurs échecs successifs, durant ce qui lui sembla quelques dizaines de minutes.
À bout de force, et sans que le plus petit progrès se soit fait sentir, il se résigna à utiliser son dernier recours. Se remettant debout, Kévin renfila partiellement son survêtement pour aller cahin-caha jusqu’à sa salle de bain où se trouvait la boîte à médicaments. Vidant son contenu au sol sans la moindre précaution, il finit par mettre la main sur ce qu’il cherchait : une boîte de suppositoires de glycérine. Son amour-propre brisé, mais satisfait d’être célibataire en ces instants dramatiques, il s’administra le traitement puis s’assit sur le rebord de la baignoire afin d’attendre que le remède fasse son office.
Cela ne tarda pas, car cinq minutes plus tard, il se rua de nouveau dans la petite pièce. Cependant, dans son empressement, il lâcha son pantalon qui lui tomba sur les chevilles et provoqua sa chute. Il s’étala de tout son long sur le linoléum, tandis que sa tête allait cogner contre un coin de mur dont il avait ignoré l’existence jusqu’à cet instant. Meurtri, Kévin se releva et reprit sa route avec plus de précaution, serrant désormais ses grands fessiers pour éviter de rajouter à l’humiliation. De retour sur son siège, tandis qu’il vérifiait d’une main si aucune trace de sang n’avait vu le jour sur son visage, il se remit à son ouvrage plus confiant que jamais. Fort heureusement cette fois-ci l’attente ne fut pas longue et vite couronnée de succès. Ravi, il se nettoya promptement et se rhabilla tout en tirant la chasse d’eau, pressé de connaître le dénouement de son film.
Se vautrant encore plus confortablement que précédemment dans son canapé, il s’arma de sa télécommande pour reprendre son visionnage, mais à peine l’écran commença-t-il de nouveau à s’animer qu’il le remit sur pause et retourna à l’endroit qu’il venait pourtant de quitter où il réitéra l’opération précédente sans assistance. Ses besoins terminés, il rejoignit une nouvelle fois son salon avant d’être interrompu dans son élan cinématographique pour la troisième fois.
- Jamais deux sans trois, maugréa-t-il en se repositionnant sur le siège de porcelaine.
L'opération terminée et convaincu que son colon avait fini de lui jouer des tours, il actionna une nouvelle fois la chasse d’eau.
Mais alors qu’il s’apprêtait à rejoindre ses pénates, il aperçut du coin de l’œil un phénomène qui n’aurait pas dû se produire. Dans la cuvette l’eau brunâtre montait irrésistiblement faisant comprendre à l’infortuné qu’un bouchon de selles et de papier hygiénique s’était formé. Il resta planté dans l’encadrement de la porte, à demi tourné vers le siège infernal, observant la scène jusqu’à ce que le liquide redescende à un niveau acceptable. Puis dans un réflexe aussi humain que stupide il actionna à nouveau l’évacuation, redonnant ainsi de l’ampleur à la pression qui s’était accumulée, et réitéra une troisième fois. Ce fut le geste de trop, la pression de l’eau encombrée fut telle que les tuyaux de l’immeuble se mirent à vibrer et à siffler de plus en plus fort alors qu’il restait immobile, comme hypnotisé par le spectacle.
Ce n’est que trop tard que Kévin réalisa le danger de la situation, alors qu’il se tenait seul dans son petit studio du rez-de-chaussée d’un immeuble de dix étages, à fixer la cuvette pleine.
Le bourdonnement de la plomberie s’était fait assourdissant, bien vite brisé par une déflagration qui sembla ricocher d’étages en étages du haut vers le bas alors que les conduites d’eau explosaient en divers endroits libérant la pression et leurs cargaisons.
- Et merde, j’aurais dû manger cinq fruits et légumes par jours comme ils disent à la pub. Se dit-il à quelques secondes de l’explosion de son siège.
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Défi Ray Bradbury - Édition 2021
Short StoryLe défi Ray Bradbury qu'est-ce que c'est ? Il s'agit d'un challenge d'écriture dont l'objectif est de produire une nouvelle par semaine pendant un an. Un défi relevé en compagnie de : @Solyriana @Lena_Leena @ElisabethLuce @Magali32400 @Sina_Edole_Pa...