Arcinelle avait toujours vécut dans ce petit hameau béarnais, ou plus précisément à la lisière de celui-ci, maudite parmi les honnêtes petites gens depuis sa naissance et condamnée à se vêtir d'une humiliante tenue jaune ornée de l'infâme patte d'oie rouge. Infâme était le mot juste et elle en avait pris conscience dès son plus jeune âge, avant que son père las de ses questions incessantes ne lui apporte les réponses tant redoutées.
Oui elle portait l'infamie en elle. Non elle n'y était pour rien. Oui c'était là une condition irréversible de sa misérable vie. Non rien ne pourrait changer cela. Oui elle était condamnée à la misère et à l'ostracisme.
La raison de tout cela ? La simple infortune de la vie qui l'avait fait naître dans une famille cagote, une famille de parias dégénérés si l'on en croyait les honnêtes petites gens du hameau avoisinant. Mais son père, malgré toute la sagesse qui émanait de sa personne, n'avait su répondre à la question la plus importante : pourquoi étaient-ils traités ainsi ? Que pouvaient donc avoir fait ces pauvres créatures au corps difforme pour mériter un tel traitement ? À cette question le vieil homme courbatu ne pouvait que hausser les épaules avec lassitude avant de renvoyer Arcinelle à ses corvées, laissant le mystère entier.
La vie poursuivit son cours tranquillement, mais la jeune fille ne parvenait pas à oublier ses interrogations. Ces dernières finirent par devenir un poison pour son esprit, la perturbant dans ses tâches quotidiennes et la poussant toujours plus loin à repousser les limites de ce qui lui était permit. Elle commença par oublier de mettre en évidence le symbole de sa condition, puis par aller caresser les animaux paissant dans les pâturages et se baigner dans les eaux réservées aux honnêtes petites gens. Pourtant toutes ces incartades ne semblèrent pas être remarquées par la population, jusqu'à ce qu'un dimanche matin elle ignore le passage réservé à sa communauté pour pénétrer dans l'église et plonge son doigt dans le bénitier afin de recueillir quelques gouttes d'eau sanctifiées. Ce fut l'infraction de trop, commise au vu et au su de tous. Elle avait osé profaner la maison de Dieu de ses doigts impurs.
Aussitôt le clerc fut appelé alors qu'il revêtait son habit de cérémonie.
- Monseigneur ! Monseigneur ! S'écria un berger en accourant vers la pièce où se trouvait l'ecclésiastique. Monseigneur, une profanation ! Une ignominie !
- Allons, allons mon enfant, répondit l'interpellé en ouvrant la porte, que se passe-t-il ? Que dites-vous ? Reprenez-vous mon enfant, on ne crie pas ainsi dans un lieu sacré !
- Mais Monseigneur, elle ... une ... cagote a usé de la mauvaise porte et s'est signée de notre eau ! Elle l'a souillée !
- Comment ?
Pressant le pas il rejoignit bien vite ses ouailles atterrées devant un tel acte avant de tomber nez à nez avec une jeune fille, recroquevillée sur elle-même, paraissant âgée d'à peine quinze ans.
- Et bien ? Est-ce vrai ? As-tu profané la maison de Dieu, utilisé le mauvais bénitier et emprunter la mauvaise porte ? Asséna le clerc en dominant l'accusée de toute sa hauteur.
- Oui Monseigneur.
- Quel est ton prénom ?
- Arcinelle, Monseigneur. Répondit-elle tremblante de peur.
- Un bien joli prénom pour une aussi mauvaise fille de ta condition. Malheureusement pour toi ce qui vient de se passer ne peut être absout. Tu connais le châtiment pour de tels actes ?
La malheureuse fit non de la tête, les yeux baissés vers le sol, tandis que le prêtre se penchait vers elle et lui répondit d'une voix sourde :
- Tu seras marquée au fer rouge à la nuit tombée, lorsque la lune sera à son zénith, puis bannie de ces terres sans possibilité de retour. La fleur de lys, réservée aux disciples du Malin, sera sur ta peau grêlée jusqu'à ce que tu trépasse. Enfermez là !
Cependant, alors que les villageois tentaient de se saisir de l'infortunée, le père perclus de rhumatismes de la condamnée se rua sur eux en poussant des hurlements et balayant de ses bras puissants tous ceux qui se trouvaient sur son passage.
- Fuit ! Éructa-t-il d'une voix désespérée tandis que ses adversaires se surmontaient leurs répulsions pour le maitriser. Cours ! Fuit ! Sauve-toi ma fille !
Horrifiée par le spectacle qui se déroulait devant ses yeux, Arcinelle comprit bien vite que son seul espoir résidait en cet instant et en ce sacrifice ultime fait par un père pour sa progéniture. Aussitôt elle fit volte-face et s'enfuit par la porte cagote pour gagner les bois heureusement tout proches. Avant d'y pénétrer elle jeta un dernier regard en arrière, pouvant ainsi apercevoir la foule informe formant un maelstrom humain dont le noyau était son père bien-aimé, puis elle arracha l'infâme tunique jaune ornée de la patte d'oie rouge qui recouvrait ses haillons et s'enfonça dans les bois.
Désormais orpheline et apatride, Arcinelle devrait subsister par elle-même à l'inconnu.
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Défi Ray Bradbury - Édition 2021
Storie breviLe défi Ray Bradbury qu'est-ce que c'est ? Il s'agit d'un challenge d'écriture dont l'objectif est de produire une nouvelle par semaine pendant un an. Un défi relevé en compagnie de : @Solyriana @Lena_Leena @ElisabethLuce @Magali32400 @Sina_Edole_Pa...