Défi Ray Bradbury - Édition 2021

#8 - Sans la lettre M

Bruce Wayne, orphelin des deux parents, élevé dans une propriété digne du Vieux Continent par le célèbre Alfred. Philanthrope, plus riche que les riches de la ville dans une cité dirigée par les cartels, venus plusieurs décennies auparavant d’Italie. Justicier à l’identité gardée secrète, chevalier noir la nuit filant de toit en toit telle la chauve-souris dont j’ai pris l’apparence.
Voilà ce que je suis. Voilà ce que j’étais.
Tout cela n’est plus qu’un lointain passé, oublié, enterré. J'ai perdu les ailes qui faisaient la caractéristique du légendaire chevalier noir que j’étais.
Pourtant ai-je été ce que je prétends ? La question reste entière et ce n’est pas la voix inconsistante qui chuchote en toutes circonstances sans que personne d’autre ne l’entende qui apportera la réponse que j’attends. Tout cela a-t-il une réalité ? Suis-je fou ? Suis-je sain d’esprit ? Tout cela est-il réel ou n’est-ce qu’une hallucination concoctée par un esprit aliéné ?
Toutes ces interrogations sont si douloureuses que je ne parviens plus à réfléchir. J'ai besoin d’aide ! Où la trouver ? Est-il possible d’en trouver ?

— Je suis là si tu veux. Fit une voix avec douceur.
— Vas t’en ! Tu n’existes pas !
— Ne nie pas la réalité Bruce, tu sais que j’existe. J'ai toujours été là.
— Balivernes !
— Alors si ce n’est pas vrai, pourquoi est-ce que tu continues à parler ? Seuls les fous agissent ainsi …
— Stupide voix, reprit-il après un instant de silence.
Le silence n’était pas tout à fait dans la pièce, bien que dans celle-ci aucun son ne se fasse entendre, il se trouvait dans ce cerveau altéré. Fléau personnel que je ne parvenais pas à évincer alors que des années s’étaient écoulées depuis son apparition.
— Tu sais où tu te trouves n’est-ce pas Bruce ?
— Oui, bien entendu. Je suis peut-être fou si l’on en croit ce que disent les autres, en revanche je ne suis pas idiot. Ici c’est l’hôpital psychiatrique de la ville où j’ai grandi, d’où tu t’es échappé.
— Échappé ? Non ce n’est pas vrai, je n’ai pas quitté cet endroit. Et toi non plus. Tu le sais.
— Qu’est-ce que cela signifie ? “Toi non plus”, que veux-tu dire par là ?
— C’est-à-dire que nous ne faisons qu’un tous les deux. Si je disparais, tu disparais.
— C’est une farce ou je rêve ! Cria-t-il.
— Tu ne rêves pas et ce n’en est pas une, je vais t’expliquer.
Des gouttes d’eau salée roulèrent sur la joue de Bruce, qui ne put les essuyer d’un doigt, bloqué qu’il était par le carcan dans lequel il se trouvait engoncé, tandis qu’il faisait les cents pas dans sa cellule capitonnée. Pourtant, alors que Bruce n’avait pas encore retrouvé la quiétude, la voix reprit.
— Lorsque le couple Wayne, tes parents, ont été tués tu as fait une sorte de dépression. J’ignore avec précision ce dont il s’agissait, en revanche ce que je sais c’est que tu étais dans un état catatonique. Autant te dire qu’un vers de terre avait une aussi belle allure que toi !
Éclatant de rire sur la dernière phrase, la voix eut besoin de quelques secondes pour se reprendre et poursuivre son récit.
— Je disais donc que tu étais dans un sale état. Alfred, qui a servi les tiens pendant toute sa vie, à prit la décision de te faire entrer ici lorsque t’élever s’est avéré infaisable pour lui, et c’est là que je suis apparu.
— Donc … On est une seule personne, c’est ça ?
— Tout à fait ! Désolé pour toi, il va falloir qu’on vive ainsi jusqu’à ton décès... Fit la voix, sardonique.
— Donc si j’ai bien saisi je suis toi et vice versa ?
— C’est bien ça !
— Alors ça veut dire que tu es aussi Bruce ?
— D’une certaine façon oui car je fais partie de toi, cependant j’ai une autre identité pour toi …
— Que veux-tu dire par là ? Cesse de discourir en usant de paroles sibyllines !
— Si tu insistes … Tu es le chevalier noir, je suis le chevalier blanc ! Déclara la voix avec entrain.
— D’accord, d’accord. J’arrête, bien que je souhaite savoir pourquoi tu as un air si sérieux …
— Attends, tu es le …
— JOKER ! Bingo !
— Non ! Non ! Non ! Non ! Je ne te crois pas ! Ça ne peut être vrai ! Au secours !
Bruce, terrassé, hurla avant de se jeter contre la cloison capitonnée. Le choc le fit choir de tout son long sur le sol, tandis que devant ses yeux il y eut la vision de son visage tiraillé. Tantôt c’était celui du justicier cagoulé, tantôt celui du clown psychotique qui lui apparaissait dans un tourbillon infernal.

La vérité était là.
Il était le héros. Il était le truand.
Il était le bon. Il était l’hostile.
Il était la raison. Il était la folie.