#1 - Souvenir vécu

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Cela faisait quatre ans que je me trouvais en terres béarnaises, migration depuis l’ancien royaume d’Aragon décidée par de jeunes sentiments amoureux

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Cela faisait quatre ans que je me trouvais en terres béarnaises, migration depuis l’ancien royaume d’Aragon décidée par de jeunes sentiments amoureux. Hélas l’idylle avait rapidement pris fin, entraînant une puissante vague de tristesse qui fut endiguée par Monsieur.
Monsieur n’est pas un descendant des Bourbons malgré sa noble lignée, qu’il se plaît à me rappeler de temps en temps, moi la “gueuse”. Une telle tendresse n’est-ce pas touchant ?

Mais trêve de bavardages, il est temps de commencer cette histoire…

Il était une fois au cœur des anciennes terres du Vert Galant, vivaient Monsieur accompagné de moi-même, lorsqu’un jour ce dernier vint à me proposer de partir le temps d’un week-end au Pays basque, au bord de l’océan. Ravie j’acceptai avec empressement, bien que je dusse me résoudre à admettre à demi-mots que je n’avais jamais vu l’océan.
- Mais tu sais nager ? Demanda-t-il inquiet.
- Oui bien-sûr, j’ai grandi au bord de la Méditerranée je te rappelle.
Sceptique il fit la moue, mais n’ajouta rien.

L’aventure atlantique allait commencer …

Le samedi matin nous partîmes en direction de la gare afin d’acheter nos billets, malheureusement la borne ne fonctionnant pas et les guichets étant fermés pour cause de grève nous nous retrouvâmes face à un dilemme. Devions-nous remettre cette escapade à plus tard ou au contraire monter dans le train en espérant pouvoir solutionner cette difficulté à bord ? Monsieur trancha et choisit la seconde option, et bien qu'effrayée à l’idée d’une sanction pour défaut de titre de transport je le suivis. Une fois installés je suggérai d’aller immédiatement chercher un contrôleur afin de nous mettre en règle mais il s’y opposa, arguant que celui-ci finirait bien par montrer le bout de son nez. Cela ne fit qu’accroître mon anxiété car je n’ignorais pas que les agents des chemins de fer pouvaient être cléments, à condition que les passagers fassent preuve de bonne volonté. Néanmoins je restais assise sur mon siège, rongeant mon frein et maugréant en silence.
Puis ce qui devait arriver arriva.
- Bonjour, billets s’il vous plaît.
- Bonjour monsieur, je suis désolée mais nous n’en avons pas. Répondis-je d’une petite voix. Nous n’avons pas de carte bancaire en ce moment et la machine ne fonctionnait pas, nous n’avons pas pu non plus aller au guichet à cause de la grève.
- Je vois.
- Et quand nous sommes montés on vous a cherché, mais sans succès.
- Oui c’est ma première ronde depuis Toulouse. Ce n’est rien, je vais vous faire vos billets, ça fera quinze euros s’il vous plaît.
Ravie que mon mensonge éhonté soit avalé par l’homme, je me précipitai sur mon sac pour chercher la monnaie tandis qu’il effectuait les manipulations nécessaires sur son terminal. Cependant au bout de plusieurs minutes il abandonna.
- Ce sera gratuit pour vous aujourd’hui, l’appareil ne fonctionne pas non plus. Où allez-vous ?
- À Bayonne, pour rejoindre Biarritz, on va y passer le week-end, répondit Monsieur. Et nous sommes montés à Pau. Ce sera la première fois de la demoiselle sur la côte Atlantique, la pauvre a grandi en Méditerranée … Ajouta-t-il moqueur.
- Je suis Catalane, expliquais-je, mais ma mère est gasconne.
- Ah les Gascons, sacré caractère ! Ri le contrôleur.
- Pas autant que les Basques, rétorquais-je piquée au vif.
- Je suis basque …
- Oups, désolée, j’ai un don pour mettre les deux pieds dans le plat …
- Et les bras avec, appuya Monsieur qui ne ratait jamais une occasion.
Boudeuse je me retirai de la conversation et notre interlocuteur partit quelques instants plus tard nous laissant achever notre voyage tranquillement.

Parvenus à Bayonne nous prîmes le bus, conseillé par le contrôleur, en direction de Biarritz après avoir déposé nos bagages à l’hôtel.
Face à l’immensité de l’océan je restais subjuguée, admirant le spectacle tandis que derrière nous se tenait le célèbre casino où nous petit-déjeunâmes. Ensuite nous allâmes longer la plage, les pieds dans le sable jusqu’à atteindre son extrémité où se tenaient quelques énormes rochers ayant fait autrefois partie de la falaise.
- Tu sais ce qu’il y a derrière ? Demandai-je à mon compagnon
- Non, mais on peut aller voir.

Poursuivant notre avancée nous atteignîmes bientôt les roches où nous découvrîmes derrière une petite plage, appelée Miramar, ressemblant à s’y méprendre à une crique, sur laquelle une dizaine de personnes nues lézardaient au soleil. Ravis, nous franchîmes la barrière naturelle qui nous dissimulerait aux yeux des Textiles et allâmes nous installer contre la falaise avant de quitter nos vêtements. Enfin, après m’être appliquée une généreuse couche de crème solaire, appelée affectueusement “pour albinos” par moi-même malgré ma peau mate, et avoir aidé mon conjoint à mettre de l’huile solaire sur sa peau blanche, l’heure fut venue de se baigner.
Après m’être mouillée la nuque et les bras comme si j’étais une grand-mère, et m’être remise de la fraîcheur de l’eau, je commençai à m’avancer dans l’océan sous l’œil inquiet mais amusé de Monsieur.

- Fais attention, les vagues sont plus puissantes que chez toi, me rappela-t-il.
- Ne t’inquiète pas ! Ma mère m’a appris comment faire quand j’étais petite.

Joignant le geste à la parole, je m’appliquai alors à lui faire une démonstration en sautant en l’air à l’approche d’une vague à plusieurs reprises.

- Tu vois, tout va bien. Lui lançai-je avec fierté, après m’être tournée vers lui, mon dos faisant désormais face au large.
- Attention ! Cria-t-il.

Trop tard.

Soudain je sentis une immense et violente masse d’eau me frapper de plein fouet sur le devant de mon corps, noyant mon visage d’eau salée, alors que je m’étais retournée trop lentement pour voir le danger arriver. Mon buste fut projeté en arrière, enfonçant ma tête dans l’écume et relevant mes jambes. Paniquée je tentai de lutter, sachant pertinemment que cela ne servirait à rien.
Puis l’assaut cessa et je me pus me remettre sur mes pieds, mais alors que je tentai de dégager mes cheveux de mon champ de vision, un second rouleau vint s’abattre avec une force redoublée sur moi, me renvoyant sur le plancher océanique. Ma lutte reprit, toujours aussi vaine, si bien que je finis par m’échouer telle une pauvre créature sur la plage caillouteuse après que pas moins de sept rouleaux se soient acharnés sur moi.
Dans le spectacle pitoyable que j’offrais je me surpris à regretter ma culotte de maillot de bain qui aurait pu offrir une mince protection à mon fessier meurtri, mais je fus néanmoins rassurée de n’avoir aucune blessure, hormis à mon amour propre, et quelques bleus épars.

Après cet incident malheureux je décidai de passer le reste de la journée sur ma serviette ou assise là où venaient mourir les vagues, écoutant Monsieur rire sans états d’âme de ma mésaventure, tout en prenant plaisir à me rappeler qu’il n’avait eu de cesse de me prévenir.


Le soir venu et de retour à l’hôtel, pas totalement remise de mon humiliation publique, Monsieur décida malgré la fatigue qu’une soirée en boîte de nuit serait la bienvenue. Celle-ci n’ayant pas été prévue avant notre départ, je tentai de l’en dissuader faute d’une tenue appropriée, mais son enthousiasme débordant et ses paroles rassurantes finirent par me convaincre. Nous partîmes donc en direction du centre-ville de Bayonne où nous aperçûmes rapidement des groupes de personnes allant dans la même direction, tels des papillons de nuit attirés par la lumière. Intrigués et ne connaissant pas la ville nous décidâmes de les suivre de loin, persuadés que cela nous conduirait en un endroit sympathique. Étrangement cette technique fonctionna et nous arrivâmes bientôt sur les quais longeant l’Adour, où était accostée une péniche arborant une banderole indiquant ceci à peu de chose près : “Restaurant le midi, discothèque dès 23h”.
Très contents de notre étrange stratégie nous nous acquittâmes sans attendre du droit d’entrée pour dix euros, nous donnant par la même occasion droit à une boisson au choix offerte, et franchîmes la passerelle. Sur le pont quelques fêtards profitaient de l’air frais de la nuit et d’une cigarette, tandis que sous le pont la salle débordait de danseurs frénétiques, que nous rejoignîmes sans tarder durant plus de deux heures, avant de retourner à l’air libre en compagnie de nos rafraîchissements.
La soirée, ou plutôt la nuit, fut tout à fait délicieuse et nous nous amusions avec ces inconnus enjoués jusqu’à l’heure du départ. Nous remontâmes une dernière fois les escaliers pour rejoindre le pont, nos mouvements cadencés par la musique diffusée sous nos pieds, tandis qu’on allumait une dernière cigarette avant de rentrer. Celle-ci terminée, nous slalomâmes entre les clients pour rejoindre la passerelle. Monsieur avançait le premier, fendant avec aisance la foule tandis qu’il me tenait la main et que je le suivais.
Parvenus au milieu du passage suspendu au-dessus de l’eau, je sentis dans mon dos une main se saisir de la mienne restée libre. Surprise par ce geste je lâchai immédiatement la main de mon conjoint, me retournai avec le poing gauche levé et prêt à frapper le malheureux. Bien heureusement Monsieur ayant réagi tout aussi vite que moi après que je me sois défait de sa poigne, m’arrêta dans mon élan, s’excusa auprès de l’inconnu en affirmant que ne sortant pas beaucoup j’étais irrécupérable et imprévisible. Refusant alors de passer pour une sociopathe j’expliquai que là d’où je venais les agressions étaient monnaie courante et qu’il m’avait effrayée. Cela dit je me gardai bien de préciser que cela ne m’était jamais arrivé. Très alcoolisé, l’infortuné ne sembla pas tout saisir, hocha la tête et rebroussa chemin, sans doute inquiet à l’idée de terminer sa soirée dans le fleuve.
Cependant, une dizaine de minutes après notre départ, alors que nous trainions encore à côté de l’établissement, nous vîmes l’homme ayant échappé à une baignade forcée être évacué par les videurs qui le portaient à trois dans une position allongée sur le côté, avant de le déposer sur les quais au vu et su de tous. C’est sur cet incident que nous rentrâmes à l’hôtel.


Le lendemain, après une nuit courte bien que reposante, nous retournâmes sur la plage biarrote que nous avions investi la veille. La matinée se passa sans encombre, occupée simplement à patauger au bord de l’eau pour moi, et à nager pour Monsieur, entre deux sessions d’application de crème solaire pour moi et d’huile pour lui.

- Tu sais, finis-je par lui dire, ça n’est pas bon pour toi d’en mettre autant. Avec ta peau claire tu vas te retrouver avec un super coup de soleil …
- Mais non, regarde il y a un indice de protection à 30.
- Comme tu veux, mais je t’aurai prévenu.

Lorsque l’après-midi arriva, après le déjeuner, notre petite plage si tranquille fut soudain envahie. Trois jeunes, sans doute âgés de seize ans, vinrent s’y installer, affublés de leurs maillots parachutes dont l’objectif était uniquement de se rincer l’œil sur nous autres mais ils abandonnèrent bien vite la partie car rien d’intéressant ne se passait. Puis vint une famille avec de jeunes enfants qui défilèrent devant nous en nous jetant des regards curieux sans pour autant s’arrêter. Ils venaient chasser le crabe. Souhaitant également participer j’allai trouver la mère pour demander la permission et si je devais me couvrir, après tout ils étaient sur une plage naturiste. Ayant reçu son accord je me joignis à la joyeuse troupe pour les aider dans leur quête, bientôt rejointe par Monsieur, et leurs sceaux furent vite remplis si bien qu’ils nous quittèrent.
Désirant continuer les recherches sans pour autant vouloir capturer les crustacés, je continuai en compagnie de Monsieur qui soudain m’en jeta un mort. Effrayée je poussai un hurlement tout en prenant une étrange position recroquevillée, soutenue uniquement sur une jambe. Hilare, il s’exclama “Fuuuusiiiiiooooon !” tout en prenant la même position. Furieuse contre lui et contre moi-même sans pour autant m’empêcher de rire, j’allai bouder sur ma serviette avant de cesser tout aussi rapidement que cela avait commencé.
Le reste de la journée s’écoula sans faits notables, bercée par le mouvement des vagues, et bientôt fut l’heure de rentrer, pour savourer une nuit complète avant de prendre le chemin du retour.


Le lendemain matin c’est frais et dispos que nous nous levâmes pour nous préparer au départ.
Après une dernière journée passée sur le sable, nous montâmes dans le train où Monsieur sombra dans un profond sommeil. Néanmoins, lorsque le train entra en gare de Pau et qu’il fallut nous lever, nos muscles se rappelèrent douloureusement à notre bon souvenir. Nos corps complètement courbaturés nous torturèrent tout le trajet effectué à pied jusqu’au cocon familial où nous nous jetâmes sur le lit sans même nous déshabiller. Mais la nuit qui aurait dû être l’occasion d’un profond sommeil fut blanche et mouvementée.
L’insolation de Monsieur se déclara.
Paniquée de le voir gesticuler et tremper le lit de sueur, tandis qu’il m’indiquait à quel point il avait chaud puis froid, je tentai de mettre en pratique les gestes de premier secours que j’avais appris. Sans succès, il s’y opposa avec toute la force de son entêtement légendaire, ne se résignant qu’une fois le soleil levé et devant l’incapacité à se chausser de ses souliers professionnels qu’il se décida à obtempérer. Devant la gravité de la situation, nous prîmes en taxi la direction de l’hôpital où fut diagnostiquée une brûlure au troisième degré sur les membres inférieurs, que l’usage d’huile bronzante lui fut interdit, et qu’un arrêt maladie lui soit imposé.

L’aventure Atlantique s’était transformée en une semaine de soins à domicile.

Défi Ray Bradbury - Édition 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant