premier jour [chuuya, mori]

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Premier jour : black tie & late night drives ; Chuuya, Mori (platonique)
     
      
     
   

Les lumières vives et éblouissantes des phares perçaient l'obscurité nocturne tandis que le grondement du moteur et le crissement des pneus dans les virages venaient briser le silence quasi-total des rues désertées par les passants.

Il était tard, presqu'une heure du matin. Le ciel d'encre avait depuis longtemps remplacé celui aux mille teintes rosées, orangées et dorées propre au crépuscule. Les lumières derrière les fenêtres s'étaient éteintes, les rideaux étaient tirés ; la ville de Yokohama était endormie.

Les mains gantées de Chuuya tenaient fermement les poignées de l'imposante moto rouge qu'il conduisait. Il roulait à toute allure dans les rues vides, savourant la sensation du vent sur son visage et dans ses cheveux roux et le plaisir enivrant de la vitesse.

Le jeune homme accéléra encore un peu et tourna au coin d'une rue sans prendre la peine de ralentir, faisant crisser les gros pneus du deux-roues sur le sol en bitume de la chaussée. Il rentrait d'une mission où il avait dû s'occuper d'arrêter une bande de criminels, alors qu'ils étaient en plein trafic de substances illicites. Rien de bien terrible, ça n'était qu'un petit groupe d'une quinzaine d'individus. Seulement, il y avait un détenteur de pouvoir parmi eux, une information que les services d'espionnage de l'influente mafia portuaire de Yokohama n'avaient pas découvert - le capitaine songea qu'il ne manquerait pas de leur faire quelques reproches dès le lendemain. Toujours est-il que l'homme en question, un manipulateur de feu, lui avait donné un peu de fil à retordre. Le rouquin eut une petite moue ennuyée en repensant au bas de son long manteau noir qui n'en était pas sorti totalement indemne. Heureusement, il avait réussi à préserver son précieux chapeau des attaques des flammes de son adversaire.

À présent, il n'avait qu'une hâte : rejoindre au plus vite les locaux du quartier général de la mafia, faire son rapport à son boss, puis rentrer chez lui et s'installer dans le canapé de son luxueux appartement avec une bonne bouteille de vin, avant de se laisser tomber dans son lit et dormir de tout son saoul jusqu'au matin.

Après quelques minutes de conduite à travers les rues plongées dans le noir, Chuuya finit par atteindre le quartier des docks. Encore environ un quart d'heure de trajet et il atteindrait le territoire de la mafia, là où absolument personne ne s'aventurait, surtout de nuit. De là, il lui faudrait encore cinq bonnes minutes avant d'atteindre le gratte-ciel au sommet duquel se trouvait le bureau du parrain. Le petit mafieux soupira, songeant qu'il n'était pas près de pouvoir rentrer chez lui et enfin se reposer. Certes, il n'avait pas besoin de venir trop tôt travailler le lendemain et il allait donc pouvoir se lever plus tard qu'habituellement ; néanmoins, la nuit promettait d'être assez courte.

Les divers hangars et empilements de containers qui formaient des sortes de rues sur les quais du port se succédaient et se ressemblaient. On aurait pu se perdre sans difficulté dans ce quartier, surtout de nuit. Heureusement pour lui, Chuuya connaissait le port par cœur ; il aurait presque pu s'y diriger les yeux fermés.

La lumière aveuglante des phares projetait des tâches claires sur le sol, les murs des entrepôts et les parois colorées des containers. Le ronflement du moteur se mêlait au cri des mouettes et au bruit des vagues qui s'écrasaient contre les quais de pierre, composant une musique nocturne, seul élément perturbant le silence de la nuit noire.

Le trajet parut infiniment long à Chuuya, au point où il finit par se demander si un jour enfin il atteindrait les locaux de la mafia. Lorsqu'enfin il arriva au pied des immenses buildings, il gara rapidement son deux-roues et en descendit en s'étirant de tout son long. Il entra ensuite dans le bâtiment et commença à emprunter les divers escaliers et ascenseurs pour rejoindre le bureau du parrain, au dernier étage de l'immeuble. Il maudit intérieurement les innombrables contrôles d'identité qui, bien qu'indispensables pour la sécurité de son boss, ne faisaient actuellement que lui faire perdre son précieux temps de sommeil.

Après une bonne dizaine de minutes, il parvient enfin à atteindre la lourde porte de bois sculptée marquant l'entrée du bureau du parrain de la mafia. Frappant trois coups qui résonnèrent dans le couloir silencieux, le jeune capitaine attendit quelques instants avant d'entendre la voix étouffée de l'homme à l'intérieur, lui annonçant qu'il pouvait entrer. Obéissant, le mafieux ouvrit la lourde porte, pénétra dans la grande pièce, avant de refermer le panneau de bois derrière lui.

Le bureau était plongé dans une semi-obscurité ; seule la lumière tamisée de quelques lampes éclairait l'immense salle. Chuuya s'approcha du fauteuil en velours rouge qui trônait au milieu de la pièce, face à l'immense baie vitrée. Ses pas étaient étouffés par le riche tapis écarlate et doré qui couvrait une grande partie du sol. Retirant son chapeau, il le plaqua contre sa poitrine et mit un genou à terre, inclinant la tête en avant dans la position respectueuse qu'il se devait d'adopter.

- La mission que vous m'avez confiée a été une réussite.

Sans prendre la peine de regarder son subordonné, Mori hocha la tête, un léger sourire aux lèvres.

- Je m'en doutais que tu t'en sortirais très bien.

Le jeune homme se releva en silence, replaçant le chapeau noir sur ses boucles rousses. Il suivit le regard de l'homme brun assis à moins de deux mètres de lui et fixa à travers l'immense paroi vitrée la ville de Yokohama. Si le port et les rues qui l'entouraient étaient pour la plupart plongées dans le noir, le centre-ville et les rues les plus animées en pleine journée étaient éclairées par de nombreux lampadaires, formant une nuée de points lumineux au loin. La vue nocturne sur la ville était belle. Sans que Chuuya ne puisse expliquer pourquoi, il trouvait la capitale de la préfecture de Kanagawa bien plus attirante de nuit que de jour. Mais quoi de plus normal pour un mafieux ?

Il appartenait au monde de la nuit après tout, il était un rouage de plus dans la monstrueuse machine qu'était la pègre. Un criminel parmi tant d'autres ; sa seule différence avec un petit tueur des rues résidait dans le fait qu'il occupait un poste haut placé dans l'organisation japonaise la plus influente du monde criminel.

En jurant fidélité à Mori et à la mafia portuaire sept ans plus tôt, en se faisant esclave du parrain et de son organisation, il avait créé un lien incassable le retenant dans le monde criminel. Un lien aussi noir que les ténèbres les plus profondes, aussi solide que la chaîne la plus résistante.

Chuuya aurait pu s'échapper de ce monde de noirceur, il aurait pu briser son serment, trahir la mafia, s'enfuir du monde de la nuit, comme Dazai l'avait fait quelques années auparavant. Pourtant il restait là, à son statut de criminel. Ça n'était pas par peur des représailles ; le jeune homme savait se défendre, et même si les vengeances de la mafia portuaire étaient réputées pour être terriblement douloureuses, le rouquin aurait été prêt à se battre pour sa survie. Non, s'il restait dans la célèbre organisation, ça n'était pas parce qu'il y était obligé, mais parce qu'il l'avait choisi. Cette admiration pour ce parrain, qui contrôlait ses hommes d'une main de fer, qui l'avait poussé à la rejoindre des années plus tôt ne s'était pas désagrégée avec le temps ; au contraire, elle s'était renforcée au fil des jours et des semaines. Mori était certes un meurtrier, un homme impitoyable et cruel envers ses ennemis et ceux qui le trahissaient, il n'en restait pas moins un excellent dirigeant. Il aimait sa ville, il aimait son organisation ; il protégeait les hommes sous ses ordres, était capable de les féliciter lorsque le travail était bien fait. Il était l'incarnation même de ce lien noir qui maintenait le petit roux attaché dans ce monde de ténèbres.

- Chuuya.

La voix grave du quadragénaire tira le jeune homme de ses pensées. Il se tourna vers celui qui l'avait interpellé, jusqu'à ce que son regard bleu voilé de fatigue croise l'éclat violet et mystérieux des yeux du parrain.

- Tu devrais rentrer et te reposer. Tu as l'air épuisé.

Chuuya s'inclina en le remerciant, salua puis sortit en refermant la lourde porte derrière lui.

Dans la mafia, il était peut-être un criminel, il vivait peut-être dans l'illégalité, mais il avait trouvé une sorte de famille, lui qui n'était autrefois qu'un orphelin, réceptacle d'un dieu qui ne faisait qu'effrayer les gens à cause de son pouvoir. Une famille dont le chef prenait grand soin, rendant impossible la simple idée de regretter sa présence dans l'organisation.

Si le jeune homme devait justifier sa présence dans la mafia portuaire, un simple nom suffirait : Mori Ougai.

arabesques || bungou stray dogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant