second jour [atsushi, dazai]

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Second jour : monster ; Atsushi, Dazai (platonique)




La chemise blanche d'Atsushi rejoignit sa cravate déjà abandonnée sur les tatamis qui couvraient le sol de la chambre, rapidement suivie par le reste des vêtements du détective. Le jeune homme fixa son corps nu dans le miroir face à lui, trônant dans un coin de la pièce. Un corps d'adolescent ; ça n'était plus celui d'un enfant, pas encore tout à fait celui d'un adulte. Mais c'était un corps d'être humain. Alors, selon toute logique, il était un humain, n'est-ce pas ?

D'humain, Atsushi avait le sentiment de n'en avoir que l'apparence. Ce qu'il renfermait au fond de lui était tout sauf humain. À l'intérieur de son corps de jeune homme, c'était un monstre qu'il couvait. Et si ce que l'on renfermait au fond de nous est notre vraie nature, alors il était un monstre, un tigre mangeur d'hommes, une créature impitoyable, cruelle.

Les poings de l'adolescent se serrèrent, sa mâchoire se crispa alors qu'il essayait de contenir les douloureuses larmes qu'il sentait monter à ses yeux. Larmes de rage, de peur, de haine, de dégoût... Tous ces sentiments qu'il éprouvait envers le tigre blanc qui sommeillait en lui.

Il aurait voulu s'ouvrir la poitrine, il l'aurait fait si seulement ainsi il pouvait arracher de son corps la bête en lui. L'extirper hors de lui et la déchirer, la détruire. Lui faire payer toutes les souffrances qu'elle avait apportées à ce monde. Puis il se serait lui-même déchiqueté. Expier sa plus grande faute, son pire péché : être en vie. Il était vivant, et il ne causait que des malheurs. Si seulement il pouvait mourir, alors son pouvoir destructeur s'éteindrait avec lui. Sa propre mort engendrerait la disparition du tigre.

"Dégage de là bon à rien ! Les gosses comme toi n'ont pas leur place ici !"

Ici ou ailleurs, il n'avait sa place nulle part. Peu importait l'endroit où il irait, où il serait ; le tigre vivait en lui, ancré à son être. À l'orphelinat, à l'Agence des détectives armés, n'importe où ailleurs, il resterait un monstre, l'adolescent qui n'était en fait qu'une bête féroce, dangereuse.

"Va mourir dans ton coin, le monde s'en portera mieux !"

Oui, il aurait dû se laisser mourir. Laisser la faim lui tordre le ventre jusqu'à ce que toutes ses forces l'abandonnent, laisser Akutagawa le transpercer avec Rashoumon, laisser n'importe qui d'autre le tuer... Atsushi le savait : il aurait dû être mort depuis bien longtemps. Il n'aurait même jamais dû naître ; son existence elle-même était un crime. Le monde se porterait bien mieux sans lui.

Il savait tout ça, et malgré tout il s'accrochait à la vie de toutes ses forces. Égoïsme. Il ne pensait qu'à lui. Il tenait à la vie, tout en sachant que celle-ci ferait mieux de prendre fin. Il aurait voulu trouver une raison de vivre, quelque chose qui lui prouverait que son existence apportait au moins une chose de positive à ce monde. Il espérait, ou plutôt il essayait d'espérer. Au fond il en était bien conscient, il n'était qu'un monstre qui n'avait qu'une chose à faire : mourir. L'espoir était vain.

***

Le claquement sec que produisit le téléphone de Dazai lorsque celui-ci le referma accompagna le grognement du propriétaire de l'objet. Sept fois déjà qu'il appelait Atsushi, sept fois que seul son répondeur se faisait entendre à l'autre bout de la ligne. Le jeune homme soupira d'exaspération. Il se leva en faisant grincer les pieds de sa chaise sur le carrelage, provoquant un regard courroucé de la part de Kunikida.

‒ Aucune réponse. Je vais le chercher.

Son partenaire blond hocha la tête et le brun couvert de bandages sortit de la pièce en claquant la porte. Les mains enfoncées dans les poches, l'air renfrogné, Dazai marchait tout en maudissant son subordonné qui contrariait ses plans de la journée, à savoir rester allongé sur le sofa de l'Agence et chantonner tout en écoutant Kunikida s'énerver sur le fait que son collègue inactif leur faisait prendre du retard sur son précieux planning. Seulement Atsushi n'était pas venu travailler de toute la matinée, et il ne répondait pas au téléphone. Et bien sûr, puisque c'était Dazai son mentor et que de toute façon il n'était pas utile en restant paresseusement allongé, c'était à lui d'aller voir ce qui se passait du côté du détective à cheveux gris. Il avait intérêt à avoir une bonne raison pour contrarier les plans du jeune homme brun.

Celui-ci envoya valser un caillou qui était sur son passage d'un petit coup de pied rageur, tout en ressassant sa journée tranquille perturbée. Arrivant devant l'appartement loué par l'ADA et occupé par Atsushi, il frappa deux ou trois coups contre la porte. Aucune réponse. Il réitéra son geste, un peu plus fort cette fois-ci, mais toujours rien. Sortant une des aiguilles qu'il gardait toujours cachées dans les bandages de ses bras, il se pencha, appuyant son oreille contre le battant, et se mit à tourner le petit objet métallique dans la serrure. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit dans un petit déclic, et le détective entra. L'appartement était silencieux, plongé dans l'obscurité - les rideaux étaient tirés devant les quelques fenêtres qui laissaient habituellement entrer la lumière.

Dazai se dirigea vers la pièce servant de chambre sans un bruit. La porte était entrouverte, laissant un rai de lumière éclairer faiblement le couloir. Jetant un coup d'œil à l'intérieur, le détective suicidaire aperçut les rideaux en tissu fin entrouverts, permettant au soleil d'illuminer cette pièce un peu plus que le reste de l'appartement. Il finit par ouvrir entièrement la porte et entra. Son regard se posa sur Atsushi, allongé sur son futon, les yeux fixant le plafond.

- Vous êtes venu finalement.

La voix d'Atsushi était faible, presque comme un murmure, et cassée - brisée même. Dazai s'approcha et s'assit sur le sol, prenant garde à ne pas écraser le téléphone abandonné par terre et dont le voyant vert clignotait, sans doute pour signaler ses appels manqués. Il fixa en silence le visage de son subordonné : ses yeux rougis perdus dans le vague, les traces d'humidité laissées par les larmes sur ses joues, sa mâchoire crispée, le coin de ses lèvres qui tressautait de temps à autre... Le jeune homme finit par soupirer. Sa colère s'était envolée, remplacée par de l'inquiétude face à l'état de son protégé.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

Le silence suivit la question de Dazai. Les secondes passaient et Atsushi ne répondait pas. Le plus vieux des deux ouvrit la bouche, s'apprêtant à se répéter, quand l'adolescent finit par parler.

- Moi.

Un mot, juste un mot. Et Atsushi fondit en larmes. Il se redressa et enroula ses bras autour de ses jambes pour les serrer contre son torse, enfouissant son visage dans ses genoux. Ses épaules se secouaient au rythme de ses sanglots. Dazai était pris au dépourvu, sans savoir comment réagir face à la détresse de son subordonné. Tendant le bras, il tapota maladroitement la tête du jeune homme près de lui, dans un geste qui se voulut réconfortant. Atsushi releva ses yeux bicolores débordant de larmes et murmura d'une petite voix :

- Je suis un monstre. Si je continue de vivre, je risque de faire encore du mal à des gens avec mon pouvoir. Je ferais mieux de mourir...

Dazai eut un petit sourire triste. Les gens pensaient, pour la plupart, qu'avoir un pouvoir était quelque chose de fantastique. Sans songer que la présence de cette "anomalie" pouvait causer la destruction intérieure des détenteurs.

- Tu n'es pas un monstre. Tu es Atsushi. Ce qui est en toi est peut-être considéré comme un monstre par les autres. Tu ne dois pas les laisser penser ça. Prouve-leur que tu contrôles le tigre et qu'il ne fera rien.

- Mais je ne le contrôle pas ! Un jour ou l'autre il se réveillera et tuera des gens !

- Viens ici.

Atsushi fixa quelques instants son mentor qui avait légèrement écarté les bras, sans comprendre où le jeune homme brun voulait en venir. Voyant que celui-ci ne semblait pas prêt à s'expliquer, il finit par se rapprocher timidement. Dazai referma ses bras autour de l'adolescent et le serra contre lui en caressant ses cheveux gris, essayant de le réconforter. D'abord surpris, le plus jeune finit par laisser ses muscles se détendre et se laissa aller contre le corps chaud du détective, profitant de son étreinte réconfortante et apaisante.

- Tant que je serai là, tout ira bien. Si un jour le tigre essaye de prendre le dessus, je serai là pour l'en empêcher. Je te le promets.

Atsushi hocha la tête en signe d'approbation et ferma les yeux, laissant sa joue humide reposer contre l'épaule du brun. Sans qu'il ne se rende compte, les larmes avaient cessé de couler, et il finit par s'endormir, le cœur plus léger.

arabesques || bungou stray dogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant