quatrième jour [dazai, odasaku]

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Quatrième jour : keepsake ; Dazai, Odasaku (platonique)
       
      
       
     
     
     
   

Dazai enfonça ses mains dans les poches de son long manteau clair et sortit des bureaux de l'Agence en saluant ses collègues, sans se soucier des cris de Kunikida, outré que son partenaire ose quitter son travail alors qu'il n'avait pas fini de rédiger son rapport - mais l'avait-il ne serait-ce que commencé ? Une fois qu'il fut dehors, le brun inspira profondément, savourant l'air frais qui parvenait à ses poumons. Il faisait chaud à l'intérieur, trop chaud, aussi accueillit-il avec bonheur la brise qui soufflait.

Il reprit sa marche, déambulant tranquillement dans les rues de la ville portuaire. Il était encore relativement tôt - la demie de seize heures était à peine passée - et le Lupin n'ouvrait ses portes à sa clientèle que de dix-sept à vingt-trois heures ; il pouvait donc prendre tout son temps avant de rejoindre le bar. Ses pas le conduisirent jusqu'à un parc fleuri où quelques personnes profitaient de la douceur du début du mois de juin : des couples qui roucoulaient à l'ombre des arbres, des parents surveillant leurs enfants en train de jouer, des personnes âgées qui jetaient des miettes de pain aux pigeons... Dazai s'assit sur un banc et croisa les jambes, observant les passants avec un léger sourire aux lèvres. Une scène banale, comme une oasis de paix dans sa vie mouvementée.

Au bout d'une vingtaine de minutes, il décida que l'heure était assez avancée et il se leva, reprenant sa marche à travers les rues de Yokohama. Un kilomètre et quinze minutes plus tard, il put enfin apercevoir l'enseigne lumineuse au coin inférieur gauche usé se détacher dans l'obscurité de cette rue étroite. Ouvrant la porte noire ornée de dorures, il entra dans le bar et descendit les marches de l'escalier qu'il avait déjà emprunté tant de fois. L'ouverture du Lupin datait de la première moitié du vingtième siècle, et le lieu avait gardé le "charme de l'ancien" : que ce soit l'effet de la décoration ou de la musique, Dazai se sentait toujours projeté près d'un siècle auparavant lorsqu'il entrait dans le bar.

Le jeune homme s'assit sur l'un des tabourets alignés au comptoir en bois verni et commanda comme à son habitude deux verres de whisky, un glaçon flottant dans chacun d'eux. Dazai se saisit de l'un des deux récipients, faisant tinter le morceau de glace contre la paroi en verre taillé, et le porta à ses lèvres, savourant la brûlure de l'alcool dans sa gorge. Il observa ensuite le liquide ambré sans vraiment le voir, déjà perdu dans ses pensées.

Sept ans déjà. Sept années plus tôt, il avait fait la connaissance d'Oda Sakunosuke. À l'époque, Dazai n'était encore qu'un adolescent, presque un enfant. Quinze ans et déjà un mafieux avec un certain nombre de meurtres à son actif ; il se souvenait parfaitement du regard peiné de celui qui allait devenir son ami lorsqu'il avait appris son âge.

Dazai se rappelait très bien de cette soirée où il avait rencontré le jeune homme pour la première fois. Il était tard, la nuit était déjà tombée. Il rentrait d'une mission qu'il avait accomplie avec Chuuya, et celui-ci avait pour la énième fois refusé de passer la soirée avec lui, soi-disant parce que supporter l'imbécile suicidaire lui servant de partenaire pendant toute une journée était bien assez épuisant, pas besoin de rajouter le soir à cela. Le brun s'était donc retrouvé à errer dans les rues sans but, jusqu'à ce qu'il tombe par hasard sur l'enseigne lumineuse qui perçait les ténèbres de la nuit. Intrigué, il était entré et avait alors découvert le bar en sous-sol, avec son calme apaisant et son ambiance si particulière.

Hormis le barman effacé qui essuyait les verres derrière son comptoir, Oda était la seule autre personne présente. Le jeune homme, qui n'avait à cette époque-là qu'une vingtaine d'années, l'avait regardé un instant, semblant légèrement surpris - c'était à peine perceptible, Odasaku avait toujours eut un visage blasé, comme s'il n'était qu'un spectateur de sa propre vie - de voir quelqu'un d'autre dans ce lieu, avant de se concentrer à nouveau sur le verre de whisky qu'il avait à la main. Sans dire un mot, Dazai s'était installé sur le tabouret à la gauche du jeune homme et avait commandé à son tour un whisky de sa voix aux intonations chantantes. Il avait regardé quelques secondes avec émerveillement le verre rempli du liquide ambré dans lequel flottait cet énorme glaçon, avant de se tourner vers l'homme aux cheveux auburn.

‒ Je m'appelle Dazai ! Dazai Osamu !

Le plus vieux avait haussé un sourcil, étonné de ce comportement si enjoué envers lui qui n'était qu'un inconnu pour ce petit brun. Mais puisqu'il n'avait aucune raison pour l'ignorer...

‒ Oda Sakunosuke.

‒ Oda... Sakunosuke... avait répété l'autre avec une petite moue. C'est long à dire... Oda Sakunosuke... Odasaku ! Tu viens souvent ici Odasaku ?

De longs instants s'étaient écoulés, le silence uniquement rompu par la musique en fond. Le jeune homme n'arrivait pas à comprendre ce qui se passait exactement : un gamin qu'il ne connaissait ni d'Adam ni d'Ève venait de lui donner un surnom, avait décidé qu'il était assez proche de lui pour le tutoyer, et semblait à présent vouloir le connaître. Assez de raisons pour le pousser à finir son verre, payer et partir sans plus attendre. Il l'aurait probablement fait en temps normal. Mais ce gamin était intriguant, avec ses yeux sombres pleins de mystère - du moins celui qui était visible, le droit étant couvert par un bandage - et sa curiosité enthousiaste.

‒ À peu près tous les soirs, avait-il répondu en haussant les épaules avant d'avaler une nouvelle gorgée d'alcool.

‒ Tu es un mafieux ?

Avant même qu'Oda ait pu lui demander ce qui lui faisait penser ça, Dazai avait répondu en pointant un doigt vers les flancs du jeune homme :

‒ Tu as des pistolets sous ta veste, pas vrai ?

L'auburn avait hoché la tête pour approuver ses dires, se faisant intérieurement la réflexion qu'en plus d'être curieux et assez étrange, ce gamin était aussi un fin observateur.

‒ Je ne t'ai jamais vu, pourtant Mori-san m'a présenté toutes les personnes importantes. Tu es un sous-fifre ?

Nouveau hochement de tête. Alors comme ça l'adolescent connaissait plutôt bien le parrain de la mafia... Oda se rappela alors d'une conversation qu'il avait entendu autrefois entre deux autres mafieux, disant qu'apparemment Mori, encore médecin à cette époque, avait pris sous son aile un orphelin aux tendances suicidaires et l'avait fait entrer dans la mafia. Un génie aussi bien dans l'art d'établir des stratégies que de tuer. Ainsi, Dazai Osamu et ce fameux jeune homme serait la même personne...

Nouvelle surprise. Il ne s'était pas attendu à ce qu'un adolescent déjà excellent dans l'assassinat malgré son jeune âge puisse avoir un visage et un comportement aussi enfantin. Ses yeux bleus se posèrent sur le garçon assis à ses côtés qui s'amusait à présent à faire tourner le glaçon à demi fondu dans son verre de whisky, avant d'avaler cul sec le breuvage et grimacer - quelle idée de boire d'un coup un alcool aussi fort ?

Sentant le regard du plus vieux sur lui, Dazai s'était tourné vers lui et avait souri.

‒ Je ne suis jamais venu ici. En fait je pensais passer la soirée avec le nain, mais il a encore refusé de m'accompagner, alors je me suis un peu promené, et j'ai fini par atterrir ici. Mais je ne regrette pas, je suis content d'avoir pu te rencontrer ! Tu as l'air...gentil.

‒ Merci, je suppose.

Dazai avait éclaté de rire, un rire franc, sincère, comme Oda ne se souvenait pas en avoir déjà entendu. Un léger sourire souleva le coin de ses lèvres tandis qu'il finissait son verre avant de se lever.

‒ Je vais devoir y aller, j'ai une mission assez tôt demain.

‒ Je comprends, avait répondu le plus jeune en hochant la tête. À demain, Odasaku !

L'auburn n'avait répondu que par un léger sourire, avant de partir en laissant quelques billets sur le comptoir en bois verni.

Dazai sourit en regardant la surface polie. Il essuya une larme qui roulait le long de sa joue, avant de secouer la tête et de s'étirer de tout son long. Ce souvenir le rendait nostalgique. Même s'il ne regrettait pas d'avoir choisi de vivre sa vie en tant que détective, ce qui était bien plus épanouissante que la vie de mafieux, il regrettait cette époque où Odasaku était encore vivant. Il avait été son premier ami et à jamais le plus cher à son cœur et Dazai aurait été prêt à renoncer à sa vie actuelle et retourner à la mafia si seulement cela pouvait permettre à l'homme auburn d'être à nouveau à ses côtés.

Le brun but d'une traite les quelques gorgées du whisky qui restait dans son verre et le reposa sur le comptoir en se levant, ainsi que l'argent pour payer sa commande. Puis il sortit en enfonçant les mains dans les poches de son manteau comme il avait l'habitude de faire, jetant un dernier regard mélancolique à ce bar où il avait tant de bons souvenirs.

arabesques || bungou stray dogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant