sixième jour [higuchi, gin]

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Sixième jour : ashes (the things we lost in the fire) & garden ; Higuchi, Gin (romantique)
       
      
      
  
   

Higuchi Ichiyou et Akutagawa Gin avaient pour habitude de se retrouver dans un parc, toujours le même. Depuis la première fois qu'elles s'étaient vues, la première fois que le destin leur avait fait croiser le chemin de l'autre - ou peut-être n'était-ce qu'une coïncidence, mais elles aimaient croire à la première idée - ce parc avait été le lieu de leurs rencontres.

D'abord brèves, seulement quelques secondes, le temps de se saluer alors que Gin rentrait de ses cours et qu'Ichiyou se rendait au petit café où elle travaillait à mi-temps. Puis, au fil des semaines, alors qu'elles commençaient à échanger quelques banalités, la jeune femme blonde avait fini par proposer à l'autre de se retrouver là et discuter un peu plus longuement un des jours à venir.

Le samedi qui suivait, par un bel après-midi de mai, elles s'étaient donc retrouvées assises côte à côte sur l'un des bancs de pierre du jardin public, entre les bosquets de fleurs aux mille couleurs et les arbres verdoyants.

Si les premières minutes avaient étaient gênantes - les deux jeunes femmes étaient tendues et aucune des deux n'osaient parler - un simple commentaire de Gin sur la flore qui les entourait avait brisé ce silence pesant. Ichiyou avait vu là une bonne occasion pour lancer la conversation, elle qui était la fille d'une fleuriste tenant un petit commerce près de la berge de la rivière traversant une partie de Yokohama. Entourée depuis son plus jeune âge par les fleurs, elle avait des connaissances assez solides, transmises par sa figure maternelle, ce qui sembla ravir la brune qui avait toujours apprécié l'effet apaisant que lui procurait la nature.

Une fois le sentiment de gêne dépassé, la jeune femme aux cheveux dorés se trouva être une grande bavarde, compensant la réserve de Gin, qui même si elle ne parlait pas beaucoup était une oreille attentive.

Les heures défilèrent rapidement pour les jeunes filles qui apprenaient à faire connaissance, assises sur ce banc à l'ombre du feuillage vert des arbres. Alors que le soleil commençait à se coucher, jetant sur le parc ses rayons dorés, elles finirent par se séparer en se promettant de se revoir la semaine suivante, même heure même lieu.

Et c'est ce qu'elles firent, la semaine d'après et celles qui suivirent.

Chacune d'elles attendaient leurs rendez-vous hebdomadaires du samedi avec impatience. Retrouver l'autre sur ce même banc de pierre un peu tâché de mousse, à l'ombre du feuillage protecteur des arbres, entourant par les senteurs florales se dégageant des bosquets, c'était devenu leur paradis sur terre.

Malgré la pluie, l'orage, le vent ou la chaleur étouffante de l'été, elles ne manquaient pas un seul de leurs rendez-vous dans le parc.

Au fil des semaines et des mois, elles avaient appris à se connaître. Ichiyou avait appris que son amie vivait seule avec son frère, étudiant à l'université. Gin avait découvert que la blondinette n'avait jamais connu son père, qui avait abandonné sa mère en apprenant qu'elle était enceinte.

À mesure qu'elles se confiaient l'une à l'autre sur leurs vies personnelles, elles s'étaient rapprochées, devenant de proches amies, avant de développer chacune de son côté des sentiments plus profonds, sentiments qui se révélèrent être réciproques. Et après trois mois de rendez-vous amicaux dans le même parc suivi d'un autre mois d'œillades qui se voulaient discrètes sans pour autant l'être et de joues rougies, Gin et Ichiyou étaient passées du statut de "deux personnes qui se croisent régulièrement et se saluent" à celui de couple, même si elles ne l'avaient avoué à personne, par peur du mépris.

Elles avaient continué de se fréquenter, réduisant petit à petit l'écart entre leurs rendez-vous au départ d'une semaine à environ deux jours, trois lorsqu'elles étaient vraiment occupées.

Si pendant un moment toutes leurs rencontres avaient lieu sur le même banc du jardin public fleuri, elles avaient fini par seulement se retrouver là-bas, avant de partir se promener dans la ville, s'arrêtant parfois dans un café sur les quais du port de Yokohama ou dans un cinéma du centre-ville.

Elles s'étaient forgé une bulle d'amour et de bonheur, un paradis personnel. Lorsqu'elles étaient ensemble, le reste ne comptait plus. Gin ne voyait plus qu'Ichiyou, et Ichiyou ne voyait plus que Gin.

Les mois passèrent et elles devenaient chaque jour un peu plus confiantes dans leur relation. Au point où elles en vinrent à décider de présenter à l'une à la famille proche de l'autre : sa mère pour Ichiyou, son frère pour Gin.

Si le deuxième, après une dizaine de secondes où il ne dit rien, trop surpris pour parler, accepta sans broncher la petite-amie de sa sœur - après tout, lui-même sortait avec une personne du même sexe que lui -, la première parut hésitante. Mais la femme n'avait que sa boutique et sa fille, et elle voulait plus que tout le bonheur de celle-ci, aussi elle accepta à son tour le fait que son enfant unique soit en couple avec une femme.

Tout se passait donc parfaitement bien pour les deux jeunes filles, presque comme dans un rêve. Elles s'aimaient avec une tendresse infinie et la puissance des jeunes sentiments. Les seuls membres de leurs familles qui comptaient vraiment pour elles avaient accepté leur amour. Tout était parfait, presque trop parfait.

Elles approchaient de leurs neuf mois de relation et s'étaient donné rendez-vous comme toujours sur le banc du parc. Ichiyou était arrivée en avance, trop impatiente de revoir sa petite-amie après presque une semaine où leur communication ne s'était faite qu'à travers un combiné de téléphone. Le cœur battant à la chamade, un immense sourire débordant d'une bonne humeur adorable à voir, elle laissait ses doigts courir sur la pierre froide du banc, s'amusant avec la mousse vert sombre.

Les minutes passaient, et l'heure du rendez-vous arriva. Mais Gin n'était toujours pas là.

Les minutes défilaient, tandis que l'inquiétude prenait place dans le cœur de la jeune femme blonde. Son sourire s'était envolé, ses traits à présent tirés par l'angoisse. Ça n'était pas dans les habitudes de Gin d'arriver en retard, et encore moins de ne pas la prévenir en cas d'empêchement. Mais Ichiyou avait beau consulté son téléphone toutes les dix secondes, pas de nouvelles de la brune.

Elle finit par se lever et sortit du parc, prenant la direction de l'appartement où sa petite-amie vivait avec son frère, l'immeuble n'étant qu'à une quinzaine de minutes de marche.

Mais alors qu'elle n'était plus qu'à quelques centaines de mètres du bâtiment, elle aperçut une petite foule qui se massait sur la chaussée, à ce qui lui semblait être le même niveau que l'immeuble où habitait sa petite amie. Prise d'un mauvais sentiment, elle se mit à courir, se frayant un chemin à travers les curieux amassés là, donnant des coups de coudes sans se soucier des interjections outrées derrière elle.

Et lorsqu'enfin elle parvint au premier rang, elle vit avec horreur que là où se tenait auparavant le bâtiment de béton peint en beige, il n'y avait plus que des cloisons noires de suie, des restes de meubles calcinés et un immense tapis de cendres encore fumantes.

Des cendres, seul reste de l'immeuble et de ses habitants. Dernier souvenir de celle qui avait illuminé sa vie pendant les derniers mois.

Il n'y avait plus que les cendres de ce qu'elle avait perdu dans le feu.

arabesques || bungou stray dogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant