Le pirate philosophe

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      Le zénith dorait le Grand Océan reflétant le ciel azur sans nuages. Sur les rives d'une île au climat méditerranéen reposait un paisible village de pêcheurs. A cette heure où le soleil brûlait la terre poussiéreuse, les habitants se reposaient chez eux ou se retrouvaient à l'unique auberge pour échanger des nouvelles et se détendre. C'était également en ce lieu que les voyageurs et aventuriers du monde s'arrêtaient et relayaient les rumeurs des grandes villes et royaumes.

      Cette taverne était le seul endroit vivant du village, qui servait surtout de relais pour les personnes venant de l'intérieur des terres, souhaitant traverser le Grand Océan et inversement. On y trouvait toute sorte de voyageur : des aventuriers, des pèlerins, des soldats, des conteurs, des matelots, des messagers... Aujourd'hui, un pirate, natif de la région, racontait à qui voulait l'entendre le récit de ses exploits et aventures, une chope de bière à la main, la démarche tangente et aléatoire. La barman le regardait du coin de l'œil en soupirant. Un jeune garçon l'écoutait attentivement.

      Vous pourriez croire que, comme tout garçon de son âge, il était émerveillé par ces histoires de combat, de danger et d'aventure, cependant celui-ci n'était pas comme les autres. Ce n'étaient pas des étoiles mais des larmes qui remplissaient ses yeux. Des larmes de rage, de colère, de tristesse et de désespoir. Ne pouvant plus tenir il cria au pirate ivre : « Pourquoi dis-tu ça ? Pourquoi racontes-tu tous ces mensonges ?! Les pirates ne sont que des voleurs, des charlatans, des assassins ! Ils ne font que piller, voler et tuer ! Ils se moquent des autres gens ! Ce ne sont que des assassins et tu es un menteur ! »

      A ces mots le gamin partit en courant en larmes. L'homme jeta un coup d'œil vers la barman, qui soupira, et il quitta à son tour la taverne. Le garçon s'était réfugié sur une falaise surplombant l'océan. Il sanglotait en boule depuis au moins une heure lorsque le pirate le trouva enfin. L'aventurier des mers s'approcha et regarda avec compassion l'enfant, n'étant plus ivre ; mais peut-être ne l'avait-il jamais vraiment été.

      Il s'assit à côté du garçon et déclara doucement : « L'océan a deux faces : une blanche lorsque l'eau dort paisiblement, le soleil d'or reflétant ses rayons chaud à sa surface, les oiseaux marins volants au-dessus à l'unisson ; une noire quand les vagues montent jusqu'aux cieux d'un noir d'encre et abattent leur colère sur les malheureux navires, la pluie déferlant ses torrents, le vent arrachant les voiles et les mats des bateaux. Il en est de même pour les humains mais chez nous ces deux faces sont plus entremêlées. En effet, je ne dirais pas qu'être un pirate est forcément une bonne ou mauvaise chose car quel que soit le cas, nous sommes des hors-la-loi. Cependant, il existe aussi deux types de pirates : des mauvais, comme tu l'as dit, qui se sont laissé emporter par de mauvaises émotions : la jalousie, la haine, la colère, l'envie, le sadisme, la luxure... Ceux-là pillent, brûlent, détruisent des villages, villes, régions ; volent, enlèvent, martyrisent, tuent, massacrent les habitants. »

- « Ils...Ils sont méchants...Ils...Ont...Ils ont tué mes parents...Je...Je les déteste ! » Expliqua le garçon entre des sanglots.

- « C'est un événement tragique, je suis désolé. Mais tu ne dois pas rester entouré par ces mauvaises émotions où tu deviendras comme eux. Je sais que c'est difficile, surtout à ton âge, mais il faut que tu surmontes ta tristesse en acceptant ce deuil. Tu ne dois pas avancer en regardant le passé mais en te tournant vers l'avenir. Tu dois vivre, heureux et joyeux, pour tes parents car je sais que c'est ce qu'ils auraient voulu. Tu ne veux pas les décevoir hein ? »

- « Je...Je ne veux pas les décevoir...Et je ne veux pas être méchant... »

- « Voilà ! C'est cet état d'esprit qu'il te faut ! Tu es un bon garçon courageux ! Maintenant laisse-moi te convaincre qu'il existe également des gentils pirates. Ceux-là ne tuent pas, ne détruisent rien. Ils traversent les flots en quête d'aventure, de lieux inconnus, de trésors disparus. Ils sont libres comme l'air, vivent comme bon leur semble et par-dessus tout ils sont heureux. Il leur arrive même de combattre ces méchants pirates. Ce sont les plus fort et les meilleurs pirates ! »

- « Liberté ? Aventure ? C'est vrai ? » Demanda le gamin un peu calmé.

- « Vrai de vrai ! Tu veux essayer pour te faire ton propre avis ? », répondit le pirate en lui faisant un clin d'œil, « Ça te changera les idées, et puis il faut bien que je me rachète pour t'avoir fait pleurer. »

- « Oh oui ! » S'exclama le garçon de nouveau joyeux et énergique.

      Le pirate se releva et mit le garçon sur ses épaules. Ils rejoignirent son navire qui mouillait dans la baie. Le "navire" ressemblait à tout bateau normalement constituer à quelques exceptions près : une coque en bois éventrée par une rangée d'écoutilles, sur laquelle reposait un pont troué, parsemé de mâts, ici deux, où étaient pendues de grandes voiles noires, déchirées, deux par mâts. A la proue se trouvait un deuxième pont, où gisait le gouvernail. L'avant de la coque était sculpté en une allégorie de la Mort. Cette épave semblait tout droit revenue des abysses de l'océan, un véritable bateau fantôme.

      L'apparence de cettecoquille ne semblait pas effrayer le gamin qui grimpa dessus aussitôt que lepirate l'eût posé au sol. Il disparut dans la cale pour visiter le navire.L'homme s'apprêtait à le suivre lorsqu'il sentit un regard réprobateur luiglacer le dos. Il se retourna et découvrit, sans surprise, l'aubergiste qui luilançait un regard noir, les bras croisés sur son torse.

- « Ne lui monte pas tes illusions et faux rêves à la tête. » déclarala femme sèchement.

- « Ce ne sont pas des illusions, seulement la réalité que tu refusesd'accepter. » rétorqua-t-il.

- « Elle est un peu trop idéalisée. »

- « C'est un enfant. Il est normal d'embellir le monde à ses yeux puisque c'estainsi qu'il le perçoit. »

- « Que connais-tu de l'éducation d'un enfant ! »

- « Rien, il est vrai. Mais je sais que l'élever dans des mensonges et dela haine comme tu le fais ne fera que le mener vers la criminalité. »

- « Tu aurais préféré que je lui explique que nos parents nous ont abandonnépour parcourir les mers, découvrir le monde, nous laissant seuls et sans rienlorsqu'il avait 3 ans !? Par-dessus le marché qu'ils ont disparu après unebataille contre leurs congénères, qu'ils avaient commencée ! Autant dire qu'ilssont morts, ça revient au même. »

- « Ils sont vivants ! » s'exclama le pirate.

- « Ça fait 4 ans qu'ils ont disparu. Alors, soit ils sont morts, soit ilst'ont abandonné toi et le reste de l'équipage comme ils l'ont fait auparavantavec nous, ce qui ne serait pas étonnant. » souffla-t-elle en levant lesyeux au ciel.

- « Non, je suis certain qu'ils sont vivants et qu'ils ont une bonneraison de rester "disparut" ! »

- « Tu vois, tu vis avec des rêves impossibles. Et regarde ce que çadonne, un ivrogne, fauché, seul, vivant dans la misère. »

- « Je ne suis pas un ivrogne. C'est simplement que je bois avec ledestin, la fatalité, la vie qui se jouent de nous autre humains comme avec despions. » répondit-il amèrement.

- « Dans ce cas, tu comprendras que je veuille éviter à mon petit frère unavenir incertain, de débauche ou de lâcheté comme l'a écrit le destin auxpirates. Ramène le sain et sauf ce soir si tu veux encore pouvoir boire dansmon auberge. »

       La femme s'en alla laissant le pirate qui monta quant à lui sur son épave pourmontrer un exemple de sa vie au gamin.

Contes et Légendes d'un autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant