La porte du magasin s'ouvrit et les clochettes tintèrent. Mme Stealthon, la grande bourgeoise que tous admiraient, imitaient, jalousaient, entra dans la modeste quincaillerie du village Tombstone.
Mme Stealthon était une femme d'une grande beauté. Sa peau beige pâle était encadrée par de grande boucle blond vénitien. Ses yeux bleu roi envoûtaient les hommes. Cependant son visage était sévère et son regard hautain. C'était la référence de toutes les femmes du Texas en termes de mode. Elle avait quitté l'Angleterre avec son époux au début du siècle en quête de fortune. Son mari monta une entreprise ferroviaire et devint rapidement très riche. Leur réputation s'éleva avec leur richesse et ils devinrent influant dans le Texas.
Ce que venait faire cette magnifique femme richissime dans ce magasin d'ouvrier restait un mystère aux yeux du vendeur qui resta figé quelques secondes avant de se précipiter vers l'anglaise. Néanmoins, ce n'était pas le cas de la patronne qui entra à ce moment-là et se glaça en voyant la bourgeoise. Cette jeune femme aux yeux et la chevelure de feu avait perdu son époux il y a quelques mois. Son mari était un irlandais ayant fui la guerre, tout comme sa femme. Il avait monté cette boutique dont il était très fier. Cependant, il eut l'inconscience de rabaisser les Stealthon dans le bar du village. Le lendemain il était mort, une balle dans le cœur.
Sa courageuse femme reprit la boutique. Malheureusement, depuis ce jour, Mme Stealthon mena la vie dure à la jeune patronne et son commerce en subit les conséquences néfastes. Aujourd'hui encore cette mégère venait détruire sa réputation. Qui sait jusqu'où cette femme odieuse irait cette fois ?
Mme Stealthon sourit devant la propriétaire et parcourut les rayons de la quincaillerie hautainement. Dehors une foule de curieux se collait contre les fenêtres du magasin pour observer l'humiliation que subirait encore une fois la jeune veuve. La bourgeoise s'arrêta devant le tout nouveau pantalon des ouvriers et cowboys du nouveau monde. Elle attrapa la matière rugueuse du bout des doigts et afficha un air dégoûté.
- « Qu'est-ce donc que cette chose ? »
Le vendeur répondit nerveusement :
- « C'est un tout nouveau vêtement inventé pour les ouvriers, mineurs et cowboys. Il s'agit d'un pantalon en toile de Nîmes teinté avec du bleu de Gêne. Son nom est jeans. »- « Décidément vous ne vendez que des loques et des objets rouillés dans ce magasin. », ricana Mme Stealthon, « Je suis certaine que même les ouvriers auraient honte de porter un vêtement si affreux. »
La rouquine se retenait de lui sauter au cou. Cette bourgeoise pouvait la ruiner et il semblait que ce soit son but.
La riche femme s'approcha de la patronne en lui mettant le jean sous le nez.- « De la toile de Nîmes, dites-vous ? Je n'ai jamais vu pire tissu au monde. Cette matière est si rugueuse, si rêche que l'on pourrait s'écorcher en la portant ! », critiqua Mme Stealthon avec dégoût, « Quant à cette couleur ! Je n'en parlerais pas tellement elle est affreuse, horrible, écœurante. Mes yeux saignent en regardant un bleu pareil ! », elle jeta le jean à la figure de la femme, « Dire que c'est à cause de ces minables produits, ces ruines de quincaillerie que votre feu époux a osé rabaisser mon nom et l'entreprise de mon cher mari. Quelle prétention ! Je ne sais pas qui a mis fin à ces jours mais je le remercie d'avoir fait disparaître une vermine pareille. »
À ces mots, elle quitta le magasin en regardant dédaigneusement la jeune femme. La veuve, folle de rage, ne put retenir toute sa rancœur et sa haine plus longtemps, elle qui aimait et respectait énormément son mari. Elle attrapa à deux mains un pistolet qu'elle cachait dans sa tenue et le pointa vers la bourgeoise.
Comme la foule rassemblée devant la demi-porte exclama son étonnement, Mme Stealthon se retourna et se figea de peur en voyant l'arme pointée sur elle.
- « Enfin voyons ma chère, ce...ce n'était pas réellement ce que je pensais...juste...juste une plaisanterie...lâchez donc cette arme...que l'on puisse discuter tranquillement...vous ne voudriez pas avoir un meurtre sur le dos, n'est-ce pas ? » Bégaya-t-elle effrayée.
- « Pourquoi pas ? Ça ne vous dérange pas, vous, que votre cher époux ait tué lâchement le mien ! Alors, je ne baisserais pas cette arme tant que vous ne vous serez pas excuser et que vous n'ayez pas promis de ne plus jamais remettre les pieds ici ! » Tonna la rouquine le cœur débordant de haine, ses mains tremblantes tenant le pistolet serré.
- « Enfin voyons...porter de telles accusations sans preuves...cela peut vous portez d'énorme préjudices ! Mesurez vos paroles et baissez donc cette arme...vous savez bien que ces genres de chose sont réglées dans la plus grande discrétion. Ce genre de duel n'a jamais de témoins et ne laisse pas de traces... »
- « C'est vous qui l'avez tué ! Je l'ai vu de mes propres yeux ! »
- « Enfin voyons ma chère, raisonnez-vous...vous savez bien que c'est votre parole contre la mienne...votre destin est scellé si vous appuyez sur cette gâchette. »
- « Eh bien je vous emmènerai en enfer avec moi pour venger mon mari ! »
- « Voici une boutique bien vivante. Quel changement par rapport aux plaines silencieuses alentours. », déclara soudainement un homme en entrant dans la quincaillerie.
Un chapeau à bord long rabaissé sur ses yeux ornait la tête de ce client. Seule sa bouche encadrée d'une barbe blonde de quelques jours était visible. Il portait une sorte de veste en cuir brune, un pantalon beige sale et des bottes d'équitations. Un pistolet était accroché à sa ceinture. Il s'agissait d'un cowboy assez réputé dans la région. Il affichait un sourire amusé en observant de sous son chapeau les deux femmes, qui s'étaient tues, et le regardaient perplexes. Il s'approcha de la rousse et baissa le pistolet.
- « Vous ne devriez pas jouer avec une arme comme ça, une balle est vite partie par accident, n'est-ce pas ? » Dit-il en regardant du coin de l'œil Mme Stealthon qui déglutit à son insinuation. Son regard insistant déstabilisait la femme. C'était comme s'il savait ce qui s'était passé entre les deux hommes. Pourtant, un étranger tel que lui ne pouvait connaître quoi que ce soit de cette histoire et encore moins ce qu'il s'était réellement passé, à moins d'avoir été présent sur la scène du crime. Mais il n'y avait pourtant personne dans les alentours ce jour-là...Le serviteur, qui jusque-là avait regardé, décontenancé, la dispute, derrière le comptoir, demanda avec hésitation.
- « En...en quoi puis-je vous aider Monsieur ? Cherchez-vous quelque chose en particulier ? »
- « Vous ne perdez pas le nord vous. Eh bien, je suis venu chercher un jeans. Il paraît que vous en avez de très bonne qualité par ici. »
Tout le monde se tourna surpris vers le cowboy. Mme Stealthon serra la mâchoire. Il aperçut le jeans que tenait toujours la patronne.
Il le récupéra et l'observa.- « Les rumeurs ne mentent pas. Cette matière est exceptionnelle. Très résistante, c'est exactement ce qu'il me faut. Je le prends ! » Il jeta alors sur le comptoir une bourse et sortit avec un sourire en coin. Il fit un clin d'œil à la patronne avant de quitter la boutique. Tous le regardaient éberlués.
Mme Stealthon se redressaet sortit de la boutique sans un mot, droite comme un piquet. Elle venait desubir un affront qu'elle ne pourrait jamais effacer.
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Contes et Légendes d'un autre monde
FantasiC'est un recueil de nouvelles fantasy, à l'exception de "Pour une affaire de Jeans". En dehors de deux nouvelles, elles sont toutes liées et formeront à l'avenir une histoire.