Partie III

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Je me suis réveillé à l'aube, la lumière s'infiltrant sans pitié à travers les rideaux troués vissés à la fenêtre. Je me suis tourné et retourné dans le lit, espérant me rendormir, sans succès. On devine aisément que la brume ne s'est pas complètement levée. Le matelas n'est pas spécialement agréable non plus, je sens comme un ressort — ou plusieurs —, qui m'empêche de me sentir bien lorsque je suis allongé, et je ne parviens pas à me positionner sans que ça ne me gêne. Je finis par me lever.

Héloïse dort encore. Il faut dire que la migraine ne lui a pas laissé de répit hier soir, s'intensifiant et la poussant à se mettre très tôt au lit. J'en ai fait de même, ne tenant pas à lui faire subir du bruit ou de la lumière. Je me suis greffé les écouteurs de mon téléphone sur les oreilles, et j'ai écouté des podcasts que j'avais soigneusement pris le temps de télécharger. J'ai l'habitude d'y prêter attention lorsque je pars courir seul. Ça occupe. Et hier soir, ça a parfaitement fait le boulot. Je suis parvenu à m'endormir en cessant de me prendre la tête avec ces souvenirs d'enfance beaucoup trop furtifs. Ils me font l'effet de ces rêves qu'on a l'impression d'appréhender dans leur globalité, et dès lors qu'on cherche à les formuler, il n'en subsiste plus rien ; si ce n'est une drôle de sensation, alors qu'on réfléchit un long moment avant de réaliser que tout s'est volatilisé. Parfois des bribes reviennent, cependant c'est rare !

Debout, je m'accapare la salle de bain pendant quelques minutes, puis m'habille. Lorsque je reviens dans la chambre, Héloïse a ouvert un œil morose. Elle m'observe, et rien qu'à voir sa petite mine, je sens qu'elle n'a pas passé la meilleure nuit de sa vie, loin de là.

— Bonjour ma belle. Bien dormi ? demandé-je tout de même, en lui adressant le sourire le plus enjoué possible.

Elle baille, s'étire, puis reporte son attention sur moi.

— Oh non... quelle nuit pourrie ! La migraine n'est pas passée, figure-toi. Je crois que j'ai dormi avec ce sentiment d'avoir mal... tout le temps ! Je ne comprends pas, ça ne m'arrive jamais ! s'exclame-t-elle, grincheuse.

J'esquisse une petite grimace de compassion avant de m'exprimer.

— Prends le temps de te reposer, alors. Je vais aller faire un petit tour en ville, et...

Ma femme m'interrompt.

— Je viens avec toi. Tu te débarrasseras pas de moi comme ça, et je refuse de rester seule dans cet hôtel de l'horreur avec la dame qui fait peur ! Sauf si c'était un cauchemar ?

Je secoue la tête en me mordillant la lèvre supérieure.

— Non, c'était pas un mauvais rêve... ou alors on a eu le même !

Elle soupire, tout en se levant péniblement.

— Attends-moi, tu veux bien ? Je vais me préparer en quelques minutes, et l'air de la mer va forcément me faire le plus grand bien.

J'acquiesce, tout en allant jeter un coup d'œil à la rue : se trouve-t-on côté rue ? Je n'ai même pas pris deux secondes pour y réfléchir. Lorsque je tire sur les rideaux, je me rends vite compte que le temps est — surprise — brumeux. Néanmoins, on voit relativement bien. On devine presque un ciel bleu, au-dessus de cette couche vaporeuse. Par contre, on ne voit pas la rue — on se situe de l'autre côté —, et je distingue, au loin, le clocher de l'église. Une sensation bizarre me noue les tripes. Je connais cette église. Je ne sais pas encore quoi ni comment, mais j'ai dû y aller, c'est une certitude. Ce sera notre première destination !

Héloïse est rapidement de retour, aussi fraîche qu'elle peut l'être vu la nuit qu'elle a passée. On quitte la chambre, traversant le couloir toujours aussi vite et sans jamais y croiser la moindre personne. Une lumière défaille et on sursaute, hâtant d'autant plus le pas par la suite.

Une fois dans le hall de l'hôtel, on marche en cadence rapide vers la sortie, avant d'être interrompus par notre hôtesse préférée.

— Vous ne prenez pas le petit déjeuner ? demande-t-elle lentement, et sans une once de politesse.
— Non, on ne mange pas le matin, crache presque mon épouse, avant de sortir.
— À bientôt ! dis-je néanmoins à l'attention de la standardiste, talonnant Héloïse.

Nous sommes enfin dehors, et je respire une grande bouffée d'air. Le temps est doux, et je ressens enfin une légère et agréable sensation.

— Je suis désolée, je ne me voyais pas manger quelque chose là-bas, grogne ma femme.
— Parfait, ça me va. Pour être honnête, je n'ai pas spécialement faim. Et toi ? réponds-je.
— Du tout. Je ne pense qu'à mon pauvre crâne pour l'instant, m'avoue-t-elle en initiant quelques pas.

Je me mets en mouvement aussi, tout en lui confiant mon projet.

— J'ai eu comme un genre de souvenir en regardant par la fenêtre de notre chambre. L'église de la ville. Elle me rappelle quelque chose. Ça te va si on passe là-bas ?

Elle hoche la tête, me laissant prendre — légèrement — la tête de la marche. Je nous guide instinctivement, et en dix minutes à peine, on y est.

L'église est là, imposante, sobre et de couleur beaucoup trop sombre. On la contemple sans un mot. Elle n'est pas spécialement entretenue, il y a même certains carreaux brisés, et la porte en est entrouverte. J'ai presque l'impression qu'un léger brouillard s'en échappe, et ça me fait froid dans le dos.

— Tu veux vraiment rentrer là-dedans ? me questionne Héloïse, confuse.
— Pas tellement, lui dis-je. Mais je crois que je suis beaucoup trop curieux et relativement obsédé par la seule piste qui s'est imposée à moi que... je vais y aller, c'est certain.

Je m'applique à ne pas paraitre inquiet. Ce n'est qu'une vieille bâtisse décrépie, rien de plus.

— Je ne veux pas rester dans la rue, je ne sais pas qui je pourrais croiser, commence-t-elle avant que je ne lui coupe la parole.
— Il n'y a pas un rat... t'as vu quelqu'un pendant qu'on traversait le quartier ? annoncé-je, plus mal à l'aise à cette idée que je ne le montre.
— Non, murmure-t-elle. Peut-être qu'il est encore un peu trop tôt, il n'est pas huit heures, ce n'est pas étonnant de ne croiser personne à cette heure-là.

Je hausse les épaules et avance en direction de l'église. Héloïse me suit en trainant des pieds. Face à la lourde porte en bois, j'hésite à me dégonfler, toutefois je pousse légèrement dessus pour constater que ça ne bouge pas. Dans mon dos, je sens mon épouse faire un tour sur elle-même, semblant faire le guet, comme si ce que l'on fichait n'était pas légal. Elle balaie la rue du regard — plusieurs fois —, et pose son bras sur mon épaule pile au moment où je me décide à appuyer un peu plus fort contre la porte. Son geste m'arrête.

— Je crois qu'on nous observe, chuchote-t-elle.

Je me tourne et m'en retourne subrepticement.

— Je ne vois rien, répliqué-je.

Puis je presse de toutes mes forces contre la porte entrouverte. Le battant se met en branle dans un horrible grincement, dont l'écho se propage à travers le quartier.

— Oh non... geint Héloïse.

Je ne fais pas le fier non plus, me mordant un peu trop fort la lèvre inférieure. Sans l'ombre d'une hésitation, cependant, je tire ma femme à l'intérieur. Nous ne sommes que de pauvres pécheurs, et nous voici forcément les bienvenus dans la maison du Seigneur ; c'est ce qui se dit.
Mon épouse s'accroche à mon teeshirt.

— Bon sang, Olivier... et si on n'a pas le droit d'entrer ici comme ça ? Vu l'extérieur, ça semble abandonné. C'est peut-être dangereux ?

Tandis que mes yeux essaient de s'adapter à cette pénombre encore plus étouffante que celle de l'hôtel, je lui réponds.

— Tout te semble pas abandonné, à toi ? Si ça se trouve, c'est une ville fantôme, et il n'y a plus qu'une cinquantaine de résidents !
— Oui, c'est possible, dit-elle en semblant se détendre, se détachant de moi. On y voit rien du tout, par contre !

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