Partie IX

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Je me lève très tôt, comme la veille, mais avec du sommeil en moins. Héloïse dort toujours, néanmoins je ne tiens plus en place. Je ne me vois pas rester ici plus longtemps alors que j'ai beaucoup à faire. Tout d'abord, quitter cet hôtel et dénicher une boulangerie, puis revenir ici, réveiller ma femme si elle dort, et lui proposer un bon petit déjeuner. Il faut que je parvienne à l'amadouer : j'aurais vraiment besoin qu'on reste une nuit de plus en ville, toutefois il me faut l'accord de mon épouse. Je m'étais juré de ne pas lui imposer ça, pourtant j'ai besoin d'encore un peu de temps. Je sens que j'ai la possibilité d'en savoir plus en discutant avec la bonne personne.

Ensuite, nous irions tous les deux jusqu'au manoir — je sais par où entrer facilement dans le domaine —, et je causerais avec le comte. On sera plus efficaces à deux. Et ce serait l'occasion de présenter à Héloïse une des personnes — de ce que j'en ai conclu durant mon insomnie —, qui m'a élevé. Je connais bien ses parents à elle, j'ai même fréquenté ses grands-parents. Ça me ferait plaisir de partager ce moment avec ma femme.

Bien évidemment, je mets de côté la scène du baiser ainsi que l'invective du comte qui voulait que je me tire de son territoire. On va dire que c'était une erreur de jugement ; je préfère rester plongé dans un semi-déni à ce sujet.

Je m'habille rapidement, laissant en place — sur la table — le mot à l'attention de ma femme. C'est étrange, non ? Je sais qu'elle a eu une terrible migraine, mais ça fait dix heures d'affilée — au moins — qu'elle dort. Ça ne lui ressemble pas du tout. Comme son sommeil semble des plus paisibles, je n'ose pas la réveiller dans l'immédiat. On va dire qu'elle compense mon propre manque de repos.

Je ne quitte pas la chambre avant d'avoir déposé un tendre baiser sur son front. Lorsque j'arrive à l'accueil, la standardiste est là, se tenant raide derrière son comptoir. Elle ne bouge pas, comme si elle attendait quelque chose.

— Bonjour, dis-je poliment en m'avançant vers elle.
Je n'attends pas qu'elle réplique, je sais déjà que ça n'arrivera pas.
— Il est possible que nous restions une nuit supplémentaire : est-ce que ce sera faisable ? demandé-je.
Nous n'avons pas rencontré le moindre client, alors j'imagine que ce ne sera pas un problème.
— Je vais vérifier ça, répond-elle de sa voix d'automate.

Je patiente quelques — trop longs — instants, qu'elle contrôle la disponibilité de la chambre je-ne-sais-où — je ne la vois pas ouvrir de livre, ni rien faire d'autre que d'attendre en me fixant du regard —, et elle finit par disparaitre quelques secondes derrière la porte du comptoir. Puis elle revient me signaler qu'il lui reste une chambre — celle que nous occupons déjà — pour une nuit supplémentaire. Je la remercie poliment et je décampe avant qu'elle n'ait le temps de me poser des questions gênantes, du style « où prenez-vous votre petit déjeuner ? »

À l'extérieur, un brouillard épais règne en maitre sur la ville. Je soupire, dépité. Ma vision a une portée de huit mètres à la louche, pas facile de repérer une boulangerie dans ces conditions. Comme je ne tiens pas à me perdre une nouvelle fois, je décide de rester le long de cette rue et d'aller toujours tout droit. Je crois me souvenir qu'il y a des commerces ici.

Le bourg est étrange, songé-je en marchant. Les rues sont larges, très espacées, et quasi toutes parallèles. Ça ne ressemble pas tellement à ce qu'on devrait trouver dans ce type d'endroit. En général, les rues sont plus biscornues, il y a de drôles d'angles. Là, chaque rue — boulevard serait presque un terme plus approprié — forme un parfait carrefour. Et toujours personne. Sans compter ces fissures au sol, qui donnent presque l'impression que le brouillard s'en échappe, comme s'il s'agissait de fumée et que nous étions sur la porte — plus ou moins cachée — des Enfers. J'en frissonne légèrement, et ce malgré les douces températures matinales.

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