Partie XIV

29 4 34
                                    

— Olivier ? Tu m'écoutes ?
Je suis perdu dans mes pensées et je reviens à la réalité à contrecœur.
— Quoi ? Désolé, j'ai rien suivi, dis-je.
Héloïse — mon épouse — soupire.
— Je te demandais ça : est-ce que tu ne crois pas qu'on devrait prévenir les filles ?
— Comment ça ? demandé-je, encore sonné.
Elle déglutit, elle a vraiment sale mine et je crois que je n'ai pas meilleur aspect. Nous sommes à la maison, assis sur le lit de notre chambre et sur le point de nous coucher.
— Je sais que le moment ne semble pas idéal, mais... autant faire d'une pierre deux coups, tu ne crois pas ? marmonne-t-elle.

Je reste muré dans le silence. Ça me prend un certain temps pour recouvrer mes esprits. Durant quelques minutes, je me sens vraiment perdu. J'étais là, dans la voiture, et maintenant, je suis ici, à la maison, et la douleur qui me comprime la poitrine est incommensurable. Je crois que j'ai rêvé. C'était étrange. Je partais à la pêche aux informations concernant mes origines, dans ma ville natale dont je ne connais absolument pas le nom, et dont je n'ai aucune idée de l'emplacement où je peux l'y trouver. J'ai peut-être un rayon de cent-cinquante kilomètres à fouiller autour de mon lieu d'adoption pour espérer la dénicher, et encore : c'est complètement hasardeux. Il parait que mon dossier a été perdu. C'était bizarre, ce songe : flou et brumeux. J'y ai croisé le Comte, un homme à la fois magique, étrange, et attrayant. Ça me semble si vrai, des souvenirs plutôt qu'un rêve, et pourtant rien de tout cela ne colle à ma réalité.

— Olivier... fais un effort s'il te plait... c'est difficile pour tout le monde en ce moment, mais j'ai besoin qu'on fasse front ensemble, dit-elle, une grande peine émanant de ses mots.
Je me mets une gifle mentale. Il faut que je revienne à la réalité.
— J'étais perdu dans mes pensées, je suis désolé. On fait quoi, alors ? questionné-je.

Héloïse soupire encore, plus fort. Elle est exténuée, pâle, et pour la première fois depuis que je la connais, des cernes immenses encerclent ses yeux rougis. J'espère que je n'ai pas la même tête, même si j'en doute. Elle triture le couvre-lit — stressée —, et je me rends compte que de mon côté, je suis totalement paralysé. Elle reprend.

— Je disais que ce serait le bon moment pour qu'on annonce notre séparation aux filles, demain, après l'enterrement, réaffirme-t-elle d'une voix blanche.
Je me mets à trembler, et je sens un arrière-gout bien salé me remonter en bouche.
— Tu ne crois pas que ça peut attendre ? m'offusqué-je.
— Quoi ? Tu te vois tenir encore comme ça six mois ou un an ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.
Elle me fixe de ses yeux abattus, et j'en avale ma salive de travers.
— T'es sérieuse, là ? répliqué-je, ulcéré par cette mauvaise idée.
— Ça peut sembler bizarre, mais je suis persuadée que c'est la meilleure chose à faire, avance-t-elle. Je ne veux pas qu'elles sortent à peine d'un deuil pour replonger dans un autre. Ni même qu'elles finissent par croire que c'est la mort de Romain qui nous a séparés, hoquète-t-elle.

Je viens me frotter le front, appuyant fort contre mon crâne. Ça fait deux mois qu'on est séparé, peut-être trois. On a maintenu l'illusion jusqu'ici, parce qu'on ne savait pas tellement comment expliquer ça à nos enfants. Ils sont grands — ce ne sont plus des gosses —, mais la vérité, c'est que ce n'est jamais simple à avouer, surtout lorsqu'on s'entend si bien et qu'il n'y a pas eu de crise ni de disputes en amont. On s'est dit que ça n'allait pas être facile à justifier. On a seulement réalisé qu'on ne s'aimait plus, que nous étions devenus des partenaires de vie plutôt qu'un couple. On s'est d'abord donné quelques semaines pour y réfléchir et ça nous a conforté dans l'idée qu'on était encore bien trop jeunes pour laisser pisser. On avait le temps, elle comme moi, de refaire nos vies. Et puis le drame est arrivé dix jours auparavant.

Romain, notre ainé, a profité de ses vacances d'été pour user et abuser de la piscine de son meilleur ami. Chaleur, alcool, plongeon, une hydrocution est vite arrivée. Il n'est pas mort sur le coup, on a eu un cruel zeste d'espoir — quelques heures durant —, puis il s'est éteint, nous plongeant dans un désarroi sans nom. On est encore tellement sous le choc que je m'en suis apparemment monté tout un film pour échapper à cette atroce réalité.

RéminiscencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant