Étonnée, Ciarà recule encore d'un pas. Comment connait-il ce nom ? Doit-elle rectifier ? Hésitant sur la conduite à tenir, elle reste silencieuse, contemplant l'homme debout à quelques centimètres d'elle. L'écossais qui l'a sauvé d'un mauvais pas il y a quelques mois est là, devant elle.
Il est beaucoup plus proche que les convenances ne le permettent, elle doit reculer, mais après avoir laissé son regard admirer la silhouette athlétique de l'homme, mise en valeur par le costume gris, elle se perd dans la contemplation de son visage. Soudain elle voudrait avoir ses pinceaux ou ses pastels avec elle pour le peindre. Malgré la nuit qui semble présider à chacune de leur rencontre, l'œil d'artiste de Ciarà se nourrit des traits marqués et puissants de l'homme.
Les lueurs de la salle derrière lui permettent à Ciarà d'apprécier pleinement les reliefs du visage de l'écossais. L'angle élégant et brut à la fois de sa mâchoire, les pommettes hautes, le front large partiellement barré par une mèche brune rebelle : elle veut graver chaque détail de ses traits afin de pouvoir reproduire ce visage fascinant dans l'intimité de son atelier. Sa barbe brune bien taillée masque partiellement une cicatrice qui lézarde sur son maxillaire gauche, rendant l'homme inquiétant et apportant une touche d'imperfection dans son profil parfait. Mais ce qui perd Ciarà, c'est l'intensité du regard bleu, si net dans son esprit et dans ses rêves, un regard si clair qu'il paraît transparent. Niall Murdoch la fixe et semble vouloir absorber tous ses secrets, tout ce qu'elle cherche à cacher si farouchement à tous. À cette idée, elle se ressaisit et redresse les épaules tentant de retrouver une posture plus assurée.
— Monsieur...
Elle a à peine commencé qu'il secoue la tête comme s'il cherchait à éloigner une idée perturbante.
— Je suis désolé de vous avoir abordé ainsi. C'est que... je connais juste votre prénom. Lord O' Connor l'a utilisé tout à l'heure lorsqu'il vous cherchait.
Niall Murdoch saisit sa main sans même s'en apercevoir. Il ne veut pas qu'elle parte. Cette femme l'intrigue. Elle lui rappelle quelqu'un. Un souvenir lointain qui lui échappe et cela l'agace. Son parfum frais et léger, mélange de savon et de violette lui parvient et il sourit sans vraiment savoir pourquoi alors que quelques minutes plus tôt, il est sorti sur la terrasse pour calmer la fureur qui l'agite depuis l'entrevue avec le roi. Il est agacé que l'ombre dans laquelle elle se cache ne lui permette pas de la détailler plus.
— Il ne me cherchait pas moi mais ma sœur. Je... Je m'appelle Ciarà. Ciarà Mac Millan.
Un soulagement inattendu envahit Niall.
— Je préfère cela. Cet homme n'est pas... recommandable. Vous devriez dire à votre sœur de faire attention.
Ciarà sourit à son tour dans l'obscurité et retire doucement sa main de l'étreinte trop familière.
— Elle le sait, croyez-moi. Nous n'avons nulle intention de côtoyer cet homme.
Elle tait le fait que, malheureusement, pour l'instant, elles n'ont trouvé d'autre solution que fuir l'Écosse pour éviter les fiançailles entre Kate et Seamus. Sa marraine, la duchesse Beale-Lealy a pu les accueillir à Londres et ne leur a guère posé de questions. Lady Mary est adorable, mais elle vit dans son monde de peinture, d'aquarelle et de couleurs. Kate est en sécurité avec elle et c'est tout ce qui compte. Elle soupire sans s'en rendre compte, mais ce mouvement n'échappe pas à Niall.
— O' Connor vous pose un problème ?
Hésitant sur la version à donner, Ciarà choisit une demi-vérité.
— Pas exactement. Le problème est plutôt qu'une femme est toujours obligée de dépendre d'un homme pour vivre.
Lorsque son grand-père a imposé que Kate se fiance, cette dernière, même si elle l'avait pu physiquement, n'a pas eu son mot à dire. Bientôt viendrait son tour. Même sa marraine, si vive, si forte et si douée, a dû se marier. Veuve maintenant, elle est libre, enfin, de vivre pour sa passion, mais que d'années d'attente et de sacrifices avant d'obtenir cette liberté ! Ciarà n'a pas envie d'attendre. Elle se sait douée et déteste l'idée d'accepter la tutelle d'un homme. Surtout après avoir côtoyé Seamus quelques jours. Le frisson d'horreur qu'elle ne peut retenir est un indice de plus que Niall engrange que quelque chose perturbe la jeune femme.
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𝕷𝖊 𝖈𝖍𝖆𝖗𝖉𝖔𝖓 𝖘𝖆𝖚𝖛𝖆𝖌𝖊 (en pause)
Historical FictionEcosse - 1626. Niall Murdoch est écossais et sillonne son pays afin de le préserver des troubles liés au voisin anglais alors que règne le roi Charles 1er, roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. Cela lui permet d'oublier sa situation personnelle...