Descendant de sa monture afin de marcher à côté d'elle, Niall Murdoch se fait la réflexion qu'à sept heures trente, les allées parfaitement entretenues du parc du château royal sont bien calmes. Les jeunes dames bien nées sont encore endormies, pense le grand Écossais. Les nannies qui promènent les bambins dont elles ont la charge sont encore dans les cuisines des résidences voisines du parc attendant que les petits aient terminé leur collation matinale. Seuls quelques palefreniers dégourdissent les jambes d'étalons nerveux et le saluent d'un doigt sur le bord de leur casquette.
Niall, lui, est levé depuis longtemps. Après la soirée animée au Palais royal, il a eu du mal à trouver le sommeil et la journée suivante, il a préféré la passer au grand air à discuter avec son ami, le comte d'Angus qui l'héberge dans sa propriété proche de Londres. Tout en travaillant ensemble à débourrer un jeune poulain fougueux, William Douglas a réussi à le raisonner : il peut trouver un accord avec le roi en négociant habilement un délai supplémentaire. Mais il est peu probable que, passionné par sa marotte actuelle, le roi renonce à exercer une pression sur un de ses collaborateurs les plus utiles.
Être proche du roi, du service royal a des inconvénients : Buckingham et Charles Stuart veulent pouvoir continuer à l'influencer, à le retenir près d'eux et ils pensent pouvoir garder Niall comme un espion plus proche de l'Angleterre que de ces racines écossaises en le fiançant à une jeune Anglaise. Erreur de jugement que les deux écossais ne chercheront pas à démentir.
Ce matin, Niall se sent enfin plus léger ; revoir la jeune Mac Millan, jeune fille courageuse et impétueuse lui plait. Le caractère affirmé et la culture de la dame surprennent Niall. Sa jeune épouse, comme la plupart des jeunes Écossaises, même de noble famille, ne savait pas lire et n'aurait jamais eu la moindre envie de "liberté", même si elle avait peur de lui, comme elle avait peur de tout homme. Il n'a pu qu'estimer le physique de la jeune Ciarà à la lueur des réverbères du jardin royal, mais celui-ci ne l'intéresse guère. Par expérience, Murdoch pense que les femmes intelligentes ne portent que peu attention à leur allure. Contrairement à celles qui minaudent, cherchant à attirer une proie grâce à leurs charmes, elles ne sont pas toujours à la recherche d'un mari. Clairement, Ciarà a démontré qu'elle ne cherche pas à se lier et à perdre une indépendance qu'elle n'a d'ailleurs pas. Il se demande si son père l'obligera à épouser quelqu'un contre son gré. Elle mérite mieux. Niall est donc heureux de la retrouver et de discuter simplement littérature. Le roman de Mademoiselle de Scudéry, qu'il est allé chercher dans ses malles arrivées d'Europe et stockées dans son appartement londonien, est précieusement emballé dans un papier de soie et placé dans un des sacs de selle de Tonnerre, son étalon noir.
Il fait donc marcher au pas sa monture dans l'allée principale, Niall est en avance et guide d'un pas régulier Tonnerre. Ses bottes sombres impeccablement cirées crissent sur le gravier de l'allée presque aussi fort que les sabots du cheval. S'il apprécie le confort de celles-ci, son costume noir lui parait être un déguisement. Niall a maintenant l'habitude de ses tenues cintrées et seyantes qui soulignent sa silhouette athlétique, mais il a repris goût depuis deux ans à la tenue traditionnelle écossaise et regrette de ne pouvoir passer inaperçu lorsqu'il la revêt. Il a fait sensation avec son kilt et son tartan aux couleurs des Mac Tavish lorsqu'il est arrivé à Londres, il y a quelques jours. Ce souvenir le fait sourire, c'était une gentille provocation sans conséquence, mais sa situation ne lui permet plus de faux-pas. Il se souvient que s'il veut rester libre, il doit se faire oublier et rester dans les bonnes grâces de Buckingham et du roi.
Flattant l'encolure de Tonnerre qui n'apprécie guère l'allure réduite imposée par son maître et la fréquentation d'autres étalons, il jette un coup d'œil discret derrière lui, cherchant à identifier l'homme qui marche derrière lui, lui aussi à côté d'un cheval, depuis quelques mètres. Le cheval boite et le jeune homme au costume étriqué s'adapte à la lenteur du pommelé nerveux. Sa silhouette fine engoncée dans une veste marron de laquais stimule la mémoire de Niall qui arrête Tonnerre d'un geste afin que l'autre le double. Lâchant les rênes, il se poste sur le bord de l'allée, attendant l'autre homme qui ralentit à son tour semblant hésiter. Le bonnet gris dissimule en partie le visage du laquais qui tente d'apaiser le cheval blessé.
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𝕷𝖊 𝖈𝖍𝖆𝖗𝖉𝖔𝖓 𝖘𝖆𝖚𝖛𝖆𝖌𝖊 (en pause)
Historical FictionEcosse - 1626. Niall Murdoch est écossais et sillonne son pays afin de le préserver des troubles liés au voisin anglais alors que règne le roi Charles 1er, roi d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande. Cela lui permet d'oublier sa situation personnelle...