Statique devant une grande enseigne de magasin de cosmétique, je n'ai pas à chercher bien longtemps avant de repérer ma meilleure amie dans la foule qui commence à peupler le centre commercial. Il me suffit de suivre les regards insistants des hommes qui passent à côté d'une jolie femme tirée à quatre épingles, pour la trouver.
Si je devais nous comparer, je dirais que nous sommes tout bonnement les parfaits opposés. Ses jambes interminables donnent à sa silhouette une allure longiligne quand les miennes me rapproche plus du Minimoys que du joli mannequin de Victoria Secret's. Ses cheveux châtains sont toujours parfaitement coiffés, comme si elle sortait d'un salon Franck Provost, tandis que ma crinière blonde se contente d'un chignon fait à l'arrache avec mes nombreux petits cheveux qui tentent une échappée de toute part. Même à sa démarche gracieuse, je fais tache à côté. Je me dis souvent que les gens doivent se demander ce qu'une femme comme elle peut bien trouver chez quelqu'un d'aussi quelconque que moi. Toute fois, je garde un atout qu'elle n'a pas : mes yeux. Derrière leur apparence marron, ils ont ce reflet doré qui vient les éclairer quand la luminosité augmente, leur donnant une jolie couleur verte. Contrairement à moi, Tanya a les yeux d'un noir abyssal qui lui donne souvent un regard mauvais.
Cet après-midi "vidage d'esprit", comme nous l'avons baptisé, me fait un bien fou et pourtant il n'avait pas forcément bien débuté. Quand je lui ai annoncé mes projets professionnels, Tanya s'est mise dans tous ses états.
« Non mais tu te rends compte, tu ne vas quand même pas t'abaisser à ça. Tu es bien trop qualifiée pour ce genre de service... » Et j'en passe des meilleurs.
Mais, après avoir fait une petite mise au point et l'avoir informée que je commence sûrement lundi, elle s'est adoucie. La discussion a finalement dévié, pour finir sur elle et ses petits problèmes. J'ai beau l'adorer, j'ai parfois l'impression de n'être que l'ombre d'elle-même. Attention, je ne dis pas qu'elle ne me porte aucun intérêt. Seulement, elle a cette fâcheuse tendance à se placer au centre de toute les attentions. Heureusement, par le plus grand des hasards, nous avons croisé Liam, un autre de mes plus chers amis, ce qui a coupé net son petit monologue. Cela aurait pu être une heureuse rencontre si ces deux-là ne se vouaient pas un profond mépris depuis plus d'un an. Pourtant, cela n'a pas toujours été ainsi.
Avec Tanya, nous nous sommes rencontrées le jour de notre rentrée en première année et le moins que l'on puisse dire c'est que ça a tout de suite collé. Derrière son côté bimbo nombriliste, c'est une jeune femme très intelligente et pleine de vie avec qui je partage de nombreux points communs comme un goût prononcé pour l'adrénaline et les situations à risque. Un week-end, alors que ses parents étaient en voyage, elle avait organisé une énorme soirée lors de laquelle il y avait de nombreux invités, dont Liam. À l'époque, ils entretenaient tous les deux une relation étrange avec de l'attirance mutuelle, mais sans sentiments. Logiquement, j'avais longtemps pensé qu'ils étaient "amis avec avantage en nature". Et puis aucun des deux ne m'avait contredit dans cette idée. Au fil des soirées, j'avais appris à connaître Liam et une belle amitié a fini par se créer. Souvent, il se confiait à moi au sujet de sa relation avec Tanya, qu'il ne comprenait pas toujours, puis sur des sujets plus personnels comme sa famille ou ses projets. On formait un sacré trio de soirée ! Le genre à se faire remarquer tant par le bruit que par les blagues que l'on ne cessait de sortir. Puis un jour, sans que je ne sache pourquoi, une dispute a éclaté entre mes deux partenaires et depuis, ils ne se parlent plus.
Après une lourde négociation avec Tanya, Liam a finalement passé le reste de l'après-midi avec nous, pour mon plus grand plaisir. C'est tellement rare d'avoir les deux au même endroit que je me suis délectée de ce petit plaisir que m'a fait le hasard.
Vers dix-sept heures, Tanya a reçu un appel et a dû partir précipitamment, laissant à Liam le bon soin de me raccompagner chez moi.
Alors que l'on roule, un silence inhabituel plombe l'ambiance, si bien que je n'ose pas aborder le moindre sujet. J'observe l'homme châtain qui me tient compagnie, espérant trouver un indice concernant le malaise qui envahit l'habitacle. Son corps, ni rond ni sculpté, épouse parfaitement la courbure du siège en tissu. Son visage, aux joues rebondies, ne laisse entrevoir aucune émotion. Seuls ses yeux gris, rivés sur la route et à demi camouflés par l'épaisse monture noire de ses lunettes de vue, trahissent le conflit interne qui semble se jouer dans son esprit.
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Les Chroniques d'une infirmière en Pédopsychiatrie
RomanceRoxane, jeune diplômée de l'école d'infirmière, a des rêves et surtout de l'ambition. Major de sa promo, elle se voit déjà dans un service digne du travail qu'elle a fourni ces trois dernières années. Après avoir fait changer d'avis à son père sur s...