Chapitre 9: Ivan et Dimitri

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La semaine est passée à une allure grotesque. Je ne me suis jamais sentie aussi inutile que ces derniers jours. Pour faire simple, mon rôle a été d'observer.

Cette proposition est courante lorsque l'on est stagiaire. Il arrive très souvent que l'infirmière avec qui nous travaillons nous dise « hey le stagiaire, observe et apprends ». Bon, je caricature un peu, tous les professionnels ne sont pas comme ça sinon les étudiants prendraient leurs jambes à leur cou. Loin de moi l'envie de dénigrer le statut de stagiaire, mais je suis diplômée, maintenant, alors rester assise à regarder un enfant faire un jeu ou un coloriage, très peu pour moi. J'ai besoin d'action, d'adrénaline, d'avoir des journées de merde où rien ne se passe comme prévu.... En résumé, j'ai besoin d'être ailleurs.

— Allez, Ivan, c'est l'heure de partir, il faut mettre tes chaussures.

Du haut de ses onze ans, Ivan est un grand roux, aux jambes longues et fines et aux mollets tendus à force de passer son temps à marcher sur la pointe des pieds. Depuis au moins cinq bonnes minutes, Marina et Paul se débattent avec le grand bonhomme qui refuse de se préparer pour rentrer chez lui. Installé sur un des fauteuils de l'entrée, le rouquin est tranquillement assis, les pieds en l'air pointés vers mes deux collègues. Tous deux se démènent pour le chausser sans que ce dernier ne daigne les aider. Non pas que j'aime me moquer des autres, mais la scène est risible de là où je suis. Et puis, vu le peu de bienveillance qu'ils ont eu tous les deux à mon égard, je trouve jouissif que la situation s'inverse un peu.

Ivan et Kimberly sont, pour le moment, les deux seuls enfants autistes que nous ayons. Leurs prises en charge sont très compliquées, car ils ne parlent pas, ont un attrait pour l'autre très limité, beaucoup de retard dans les apprentissages et, ce qui est le plus dur à gérer, de nombreux moments d'agressivité. Dans le cas d'Ivan, c'est surtout de l'hétéro-agressivité, donc dirigée vers les autres. Sa passion, les cheveux. Il peut surgir à n'importe quel moment et arracher une touffe à la première personne qui sera sur son passage. Certains disent que l'hétéro-agressivité est un signe que la personne autiste s'ouvre au monde. Pour ma part, je ne suis pas certaine que lorsque Ivan s'en prend à nos cheveux, il fasse attention à l'être humain qui sommeille en nous.

En ce qui concerne mes relations avec mes collègues, depuis mardi, Marina ne cesse de faire comme si je n'existais pas. Je n'ai pas eu vent de ce qui s'est dit dans le bureau lorsqu'elle a été convoquée, en revanche, j'ai dû y aller juste après. Même si Lucas ne m'a pas sermonnée, il m'a tout de même conseillée de faire attention au comportement que j'adopte face à ma collègue. Bien qu'il l'ait formulé comme un conseil du type :

"C'est ton premier poste, ne te prends pas la tête avec des enfantillages".

J'ai bien compris qu'il ne fallait pas trop toucher à la dragonne, qui est la plus ancienne infirmière du service. Après cela, on a fait un point sur ma première journée, il m'a donné mes codes pour le logiciel des dossiers patients et m'a laissée retourner au travail.

Je suis en train d'aidre le petit Dimitri à porter sa valise, lorsque je vois arriver l'interne. Il a hanté le service toute la semaine avec sa démarche assurée et son parfum de mucus qui empreigne les murs du service. Cela aurait pu être enivrant, si ce n'était pas son odeur à lui. Malgré tout , je ne peux m'empêcher de le détailler. Cheveux en bataille, blouse ouverte laissant apercevoir son polo bleu clair, les bras chargés de dossiers bien épais, il cavale comme si le lapin d'Alice au Pays des merveilles était à ses trousses.

— Salut Roxane, me lance-t-il furtivement, en passant à quelques centimètres de moi. On se voit à la réunion de tout à l'heure.

Il me fait un clin d'œil et poursuit son chemin sans attendre de réponse. Depuis mardi, il n'a pas arrêté de m'interpeller comme si j'étais la seule soignante du service, ce qui a eu don d'en énerver plus d'un, moi la première. Je déteste me faire remarquer, et vu comme c'est parti avec la Marina, il serait bien que l'interne évite d'en rajouter une couche. Bien sûr, tout cela n'a pas échappé à mon binôme qui ne se prive pas pour le faire remarquer.

Les Chroniques d'une infirmière en PédopsychiatrieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant