Chapitre 6 ☺

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Mars 2020.

Quand nos boissons arrivent, Paul me fait signe de le suivre sur la terrasse chauffée qui se trouve à l'arrière du restaurant. Elle est petite, et les plantes disposées un peu partout renforce le côté intimiste. Paul s'installe dos contre le mur, me présentant son profil. Ses sourcils sont froncés, il hésite. Je sirote quelques gorgées de mon jus de pomme, admirant les vignes grippant le long du mur de la cour.

     - Tu es heureuse, dans ta vie je veux dire ?

Là, je dois bien l'avouer, je ne m'y attendais pas à celle-là. Il me faut donc quelques secondes avant de répondre :

     - Globalement oui.

     - Juste globalement ?

Soupir. C'est le moment, il a ouvert la boîte de Pandore. On se parle sans se regarder. C'est plus simple comme ça. On s'apprête à avoir une conversation sérieuse, enfin. Je me sens comme un soldat sur le champs de bataille. Le petit cadet de l'infanterie, tout devant, face à l'étendue d'herbe encore immaculée.

     - Oui, si je prend tout en compte, alors d'une manière générale je suis plus heureuse que malheureuse. Mais, il y a toujours des choses qu'on aimerait changer, non ?

     - Je suppose...

Bon, c'est pas gagné... Je prend sur moi et renchéri :

     - Tu vois par exemple, j'aimerai quitter la région parisienne, avoir une grande maison à la campagne. J'aimerai perdre un peu de poids pour me sentir plus jolie. Peut-être changer quelques unes de mes habitudes... Et puis, j'aimerai... je sais pas, plein de choses en fait.

Le silence se fait quelques minutes. Je sens qu'il veut continuer, qu'il veut rentrer au cœur des choses. Aborder les non-dits. J'attends et je l'observe. Son visage enchaîne les expressions, il semble être en pleine lutte avec lui-même. Il prend enfin une grande inspiration, comme pour trouver le courage de continuer la conversation :

     - Et, avec ton copain ?

     - Quoi donc ?

     - Tu voudrais changer des choses ?

     - Oui, j'imagine. Il a des défauts, comme tout le monde.

     - Tu l'aimes ?

     - Oui.

Silence. Soupirs. Sourcils froncés.

     - Tu as l'air déçu.

     - C'est que... tu n'as pas hésité une seconde, tu l'aimes c'est certain. Et pourtant, tu es là, avec moi. Je trouve ça... bizarre.

     - Je ne vois pas pourquoi, on ne fait rien de mal.

A cet instant, il lève le regard vers moi. Ses yeux s'assombrissent. Je sais déjà ce qu'il pense.

     - Valentine... tu m'as promis : honnêteté !

     - Je sais, je sais. Tu as raison. C'est juste que... pour moi, c'est pas incompatible.

     - Comment ça ?

     - L'aimer, lui ; et être là, avec toi.

Il détourne à nouveau le regard et allume une cigarette. Il tire quelques bouffées. J'ai l'impression que son esprit vagabonde, part loin d'ici. Et d'un coup, il rompt le silence :

     - Et moi ?

     - Quoi, toi ?

     - Tu m'aimes ?

Je ne réponds pas. Je n'ai pas envie de répondre, et en même temps c'était précisément le but de cette rencontre : lui dire ce que j'ai sur le cœur, lui dire tout ce que j'ai à lui dire. Une vague de sentiments me submerge.

     - Hum, je vois...

     - Paul...

     - T'embête pas, va. J'ai compris...

Mon cœur se serre. J'étire le bras au dessus de la petite table qui nous sépare et pose ma main sur la sienne. J'ai de la peine, pour lui comme pour moi. Je sais que ce qui va suivre va être très compliqué. On va encore se faire du mal.

     - Tu sais très bien ce que je ressens pour toi. Je ne te l'ai jamais caché.

Il me regarde, les yeux brillants. J'avale difficilement ma salive, c'est comme si elle restait coincée dans ma gorge.

     - Tu m'aimes ?

     - Oui.

     - Alors dis-le !

     - Je t'aime, Paul. Toujours.

Et c'est bien vrai, quoi que je fasse. Il a toujours été une des rares personnes en ce monde à me comprendre. Une personne qui arrive à balayer ma peine et mes peurs en un sourire nonchalant, en une caresse.

A nouveau, il regarde devant lui et le silence revient. A présent, son visage est inexpressif. Que peut-il bien penser ? Pourquoi se taire maintenant ? Je sens de plus en plus les mots autour de nous, sur nous. Ils sont là, ils passent à travers nous encore et encore. Il y a encore tellement de choses qu'on pourrait se dire, qu'on devrait se dire et s'avouer. Mais c'est ce silence, au final, qui est le plus parlant.

     - Et toi ?

     - Quoi ?

     - Si je me souviens bien, tu ressentais la même chose que moi à l'époque.

     - Hum.

Il me rend folle. Il ne peut pas jouer à ça avec moi. Je dois tout lui dire et lui se retient ? J'essaie de me contenir mais ma voix tremblante me trahie.

     - Ça a changé ?

     - Non.

     - Alors dis-le moi.

Il se tourne vers moi, écrase sa cigarette. Il me regarde droit dans les yeux et saisi ma main posée sur la sienne. Mon cœur bat si fort que ça en est ridicule. J'ai l'impression de jouer ma vie sur ses quelques mots.

     - Je t'aime.

Il marque une pause, comme pour reprendre son souffle.

     - Je n'ai jamais cessé de t'aimer. Même quand je te déteste, je t'aime. C'est con, hein ?

Je me rend alors compte que je retenais jusqu'ici ma respiration. A ses mots pourtant, j'ai l'impression que l'air qui emplit mes poumons est le plus pur que je n'ai jamais respiré. Paul cale à nouveau son dos contre le mur et boit son Coca, tandis que mon cœur semble reprendre petit à petit un rythme approprié. Il m'aime.

Et maintenant ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant