Chapitre 11 ☺

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Mars 2020

Son téléphone vibre dans sa poche. Un appel. Il desserre ses bras, se tourne légèrement et jette un regard furtif sur l'écran. Il rejette l'appel. Subitement, son attitude change à nouveau. Il soupir et se passe une main sur le visage. Il fais quelques pas, cherchant ses mots. Je remarque son visage fermé, sa mâchoire serrée. La pression est en train de monter.

     - Paul ? Tout va bien ?

     - T'es sérieuse là ?

Son regard est glacial. Je gèle sur place, bouche bée.

     - J'allais très bien avant que tu me contactes ! Maintenant, maintenant je doute de tout...

     - Je suis désolée...

     - Mais je m'en fout que tu sois désolée, Valentine !

Il a prononcé mon prénom avec tellement de haine et de dégoût. J'ai envie de pleurer. Il ne faut pas que je craque.

     - J'aurai préféré... J'aurai préféré que tu m'foutes la paix, putain ! Oh et arrête de me regarder comme ça, avec tes yeux de chien battu !

Il marque une pause.

    - J'ai une copine tu sais ?

     - Tu... Tu ne m'en avais pas parlé...

     - Et ouais, c'est étonnant, hein ?! C'est du sérieux. En tout cas ça l'étais.

Je n'arrive pas à répondre. Que pourrais-je dire pour améliorer les choses de toutes façons ? Il fait les cents pas, ses allers-retours me donne le tournis. On dirait un lion en cage, près à être lâché dans l'arène. J'ai la nausée.

     - On parle d'emménager ensemble. Je crois qu'elle pourrait être « la bonne », tu vois ?

     - Hum...

     - Mais là, je sais plus. Tu me saoules Valentine ! Tu rentres dans ma tête à chaque fois, chaque putain de fois !

     - Paul, je...

     - Non, arrête !! Tu comprends rien ! J'ai plus envie que tu me parles là !

Je crois que je ne l'avais jamais vu dans cet état. Même dans nos pires moments, il ne se laissait pas envahir par la colère comme maintenant.

     - C'est pas ce que je voulais...

J'ai prononcé ces mots dans un soupir. Ce fut une épreuve, j'ai l'impression qu'ils ont été arraché à moi. J'ai le cœur au bord des lèvres, j'ai failli les vomir.

     - Et c'est quoi, ce que tu veux ?! Tu le sais au moins ? Ou tu as juste décidé de bousiller ma vie une nouvelle fois ???

Je craque. Les larmes coulent sur mes joues en un flot incontrôlable. Des gens nous regardent. Je baisse mon visage, honteuse. Paul a l'air de n'en avoir rien à faire.

     - Et aller, tu pleures maintenant. Putain t'es pathétique !

     - Arrête.

     - Pourquoi je devrais ?!

     - Paul, s'il te plaît.

     - Bordel !

Une inconnue s'approche pour s'assurer que je vais bien. Paul s'éloigne. Je ne peux retenir un cri, il me déchire la poitrine. Mes larmes sont inarrêtables. Mon corps entier est pris de spasmes. Je demande à la femme de me laisser. Je vois Paul un peu plus loin, passer sa rage sur une cigarette. Il me tourne le dos mais je vois bien comme il est tendu, crispé. J'essaie de me calmer, je me murmure des mots d'encouragement. Deuxième cigarette. Mes pleurs commencent à s'atténuer. J'insiste et l'inconnue part.

Marcel Proust a dit : L'indifférence aux souffrances qu'on cause est la forme terrible et permanente de la cruauté. (1)

Paul jette sa cigarette sur le sol. Dans un autre contexte je l'aurais engueulé pour ça. Il parcourt les quelques pas qui nous sépare et se plante devant moi. Je parle avant qu'il ne puisse prononcer un mot de plus :

     - Je ne sais pas pourquoi j'ai eu envie de te parler, de renouer le contact. Enfin si je sais, parce que t'as toujours la même emprise sur moi. Et ça me fait autant plaisir que ça me fait mal de te voir. J'attends rien de toi, je crois que j'avais juste besoin de me rappeler qu'à une époque on s'aimait, et qu'à cette époque on était jeunes, insouciants, libres.


Il ouvre la bouche mais je lève la main vers lui pour le stopper.

     - Attend. Je veux que tu comprennes. J'aime ma vie d'aujourd'hui mais... mais parfois j'étouffe. Le boulot, la ville, mon mec, mon fils, ... Parfois j'ai l'impression de plus pouvoir respirer. Alors te revoir et imaginer que – je sais pas - que ma vie aurait pu être différente, ça me fait du bien. C'est cruel et c'est égoïste et c'est con, mais je peux pas te donner plus que ça. J'avais besoin de te voir, besoin de t'avoir pour moi encore un peu.

Paul est hésitant. Lui non plus n'a pas l'habitude d'une telle honnêteté de ma part. Cependant, j'ai l'impression que mon monologue a fait effet. Plutôt que de répondre, il me prend par la main et m'emmène avec lui. Je pense qu'il n'a aucune idée d'où aller, mais ça n'a aucune importance.

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On marche d'un pas soutenu. Je ne dis rien. On s'installe à la terrasse d'un café plus loin. On commande deux cafés. Non pas que j'ai vraiment envie de relancer les hostilités, mais ça me préoccupe trop :

     - Ta copine, c'est elle qui t'a envoyé des messages toute la journée ?

     - Ouais.

     - Pourtant, tu ne lui as pas répondu...

Il enveloppe mon visage de ses mains et arrime son regard au mien.

     - Je peux pas. Pas tant que je suis avec toi. J'ai pas envie de penser à elle. Je pensais pas que ça me ferai ça, mais depuis ce matin tu es la seule qui compte. Moi aussi je suis égoïste, parce que moi aussi j'ai envie de t'avoir rien qu'à moi juste pour aujourd'hui. Alors je l'ignore, et elle va probablement me le faire payer cher, mais là j'en ai rien à foutre.


J'ouvre la bouche pour répondre mais il ne m'en laisse pas le temps. Il dépose un baiser tendre sur mes lèvres puis colle son front contre le mien. On reste ainsi quelques instants. Il garde les yeux fermés, je vois bien qu'il est sur le point de pleurer.



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Marcel PROUST, Du Côté de chez Swann, 1913

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