Mars 2020.
Après avoir mangé un petit quelque chose, on décide d'aller flâner aux Buttes Chaumont. On prend le métro et on ne parle presque pas. J'observe les gens dans la rame. La plupart a le regard baissé, sur un téléphone ou sur leurs chaussures. Un homme traverse en jouant de l'accordéon de manière assourdissante.
Une fois dehors, le vent frais fait valser la chevelure de Paul. La température ne semble pas le déranger. On fait quelques pas et on passe devant une librairie qui expose des livres d'occasion sur le trottoir.
- Tu veux regarder ?
J'acquiesce d'un hochement de tête. Visiblement, il me connaît encore plutôt bien. A l'époque du lycée, je l'avais traîné mille fois dans la vieille boutique de livres et CD d'occasion de la ville. D'ailleurs,la gérante avait fini par connaître mes goûts et gardait souvent un ou deux livres susceptibles de me plaire derrière le comptoir.
Je trouve quelques romans qui ont l'air sympa. Pendant ce temps, Paul est entré dans la boutique et je le retrouve en train d'examiner les cartes postales. Il en trouve une rigolote et me la montre, arborant ce sourire franc et enfantin qui jure avec son mètre quatre-vingt-dix. Je paye les deux livres que j'ai sélectionné et nous repartons vers le parc.
Une fois arrivés, on s'installe sur un banc. Il fait vraiment froid. Nos bras se touchent mais on ne se regarde pas. Toujours cette ambiance pesante, ses mots qui ne demandent qu'à sortir. J'aimerai continuer notre conversation du restaurant, mais j'hésite. Je lui dit plutôt que je n'étais pas venue ici depuis plusieurs années. Je lui raconte cette anecdote : quand je suis arrivée dans la région, les gens me demandaient souvent si les montagnes de mon enfance ne me manquaient pas trop, et une fois on m'a dit que si j'avais trop le mal du pays je n'avais qu'à venir me promener ici pour retrouver un « paysage familier ». Ça le fait rire. Lui qui adore la montagne, l'hiver, le ski, il trouve cette remarque ridicule.
Il me parle de ses années d'étude dans le sud de la France. Le mal du pays. Comment voir arriver décembre sans neige le perturbait au début.
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Il y a un groupe de filles sur un autre banc, en face. Des lycéennes.Elles fument en buvant du RedBull. Elles parlent fort, rient,chantent. Elles ont mis de la musique sur une enceinte Bluetooth.
Une chanson démarre, j'en reconnais les premières notes. Je sens le corps de Paul réagir, je pense que lui aussi s'en souvient.
We're a thousand miles from comfort, we have traveled land and sea
But as long as you are with me, there's no place I'd rather beJe le vois tripoter son briquet nerveusement, il sait.
I would wait forever, exalted in the scene
As long as I am with you, my heart continues to beatLentement,on se tourne l'un vers l'autre. On écoute. Nos visages sont proches. Aucun mot n'est prononcé mais l'on se comprend très bien. Pas besoin d'exprimer ce qu'il se passe dans nos têtes. Cette chanson... elle a beaucoup de sens pour nous. Beaucoup de souvenirs.
If you gave me a chance I would take it
Nos visages se rapprochent.
It's a shot in the dark but I'll make it
Mon regard est fixé sur le sien. Il pose sa main sur ma cuisse.
Know with all of your heart, you can't shame me
Le temps semble long, presque figé. J'aimerai que cet instant ne finisse jamais. Que l'on reste ainsi, à seulement quelques millimètres l'un de l'autre. Mon cœur s'emballe, mes oreilles bourdonnent, j'ai l'impression que mon corps va prendre feu.
When I am with you, there's no place I'd rather be (1)
Ses lèvres sont sur les miennes. Je me consume littéralement. On échange un baiser doux, tendre. Tout me revient. C'est comme si l'on ne s'était jamais quitté. Mes mains s'agrippent à sa nuque, mes doigts glissent dans ses cheveux.
Lorsque l'on s'éloigne, je ne peux m'empêcher de sourire. Je caresse son visage. Sa chaleur et son odeur forment comme une barrière tout autour de moi. Je suis dans un état second. A cet instant, je pourrais le suivre n'importe où,faire n'importe quoi pour lui. Comme avant. Le groupe de filles à disparu. La musique ne parvient plus jusqu'à moi. Le monde n'est plus. Il n'y a plus que nous, elle est là. Enfin. Notre bulle.
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(1) CLEAN BANDIT, « No Place I'd Rather Be », New Eyes, 2014.
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Et maintenant ?
RomanceIl tire quelques bouffées. J'ai l'impression que son esprit vagabonde, part loin d'ici. Et d'un coup, il rompt le silence : - Et moi ? - Quoi, toi ? - Tu m'aimes ? Je ne réponds pas. Je n'ai pas envie de répondre, et en même temps c'était précisémen...