I deserve to be me

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Jack allait partir.

Cela était arrivé deux fois en moins d'un an et cette troisième fois allait être fatale si elle arrivait. Personne ne semblait comprendre l'enjeu derrière ce départ : si il partait, c'était qu'Alex avait abandonné. Et si Alex avait abandonné, même sans en avoir eu conscience, c'était qu'il s'agissait du point de non-retour.

A moins qu'il trouve une solution.

Mais là, maintenant, Alex et Jack étaient assis sur un banc, toujours le même. Alex savait que la gare n'était pas loin et que d'ici quelques minutes, Jack montrait dans le train et ne reviendrait jamais. C'était déjà arrivé. Sauf que la dernière fois, Alex avait sauté dedans de justesse. Quand c'était arrivé, ça avait été une preuve du changement dont il faisait preuve : il avait été prêt.

_Pars pas...., murmura le jeune homme, désespéré.

Son cœur était brisé. Il ne voyait pas de raison pour empêcher le départ de Jack. Et rien que ça rendait le vide qu'il ressentait encore plus immense.

_Promis, je reste jusqu'à ce que tu dormes, murmura Jack regardant droit devant lui.

Alex ne parvenait pas à voir ses expressions, comme éblouis par le soleil. Il était juste effrayé : si il dormait, il se réveillerait seul et encore plus misérable. C'était déjà arrivé, il savait parfaitement comment ça se passerait. Il se réveillerait seul, un grand vide dans son crâne. Il ne mangerait quasi pas, il pleurerait douloureusement et c'était comme si il se laissait submergé par des choses dont il ne voulait pas. Sans Jack, il n'aurait jamais savoir qui il était. Sans Jack, il ne serait pas où il en est aujourd'hui. Sans Jack, il n'était rien, juste l'ombre de lui-même.

Mais ça, peu de personnes pouvaient le reconnaître. Du moins, il y avait quelques personnes qui pouvaient comprendre mais il y avait bien plus de gens qui ne devaient pas le savoir car cela se terminerait mal. Mais Jack était une grande part de la vie d'Alex.

Plus précisément, il s'agissait d'une partie de lui : c'était juste ça qui le poussait à avancer. Sans Jack, jamais il n'aurait fait son coming-out, sans lui, il serait toujours une pauvre fille perdue qui se laisse marcher sur les pieds et qui ferait plaisir aux gens.

Il ne serait pas lui-même.

Alex avait la douloureuse impression de perdre une part de lui-même là, à cet instant précis. Alors il se mit à cogiter, cherchant une solution parce que c'était tout ce qu'il pouvait faire. Si Jack partait, c'était toujours parce qu'il y avait une raison, même si il ne le voyait pas. Et généralement, cette raison lui était un truc négatif.

Alors, Alex posa ses coudes sur ses genoux et posa ses mains sur ses oreilles. Jack ne bougeait pas, toujours le regard au loin.

Alex fit le résumé de sa vie actuelle : rien n'allait depuis décembre. En fait, quasiment tous ses progrès s'étaient écroulés : quelqu'un avait voulu revenir dans sa vie, le ramenant plus à des flashback qu'autre chose. Le séjour chez sa mère lui avait causé des crises de dépersonnalisation. Rien n'allait en cours car il était en plein burn out autistique suivi de la dépression. Il n'arrivait plus à rien. Les gens remettaient en question sa transidentité. Sa mère avait mal prit son changement de prénom dont il n'avait pas pu lui en parler par peur. Elle l'avait d'ailleurs emmené chez un psychiatre sans son consentement. Une personne pour qui il éprouvait de forts sentiments l'avait infantilisé et leurs disputes n'avaient fais qu'aggraver leur relation au point où, après deux semaines de silence, tout était finit. On l'avait engueulé sur sa manière de gérer ses émotions. Le coup de grâce fut que quelqu'un coupe les ponts avec lui en disant qu'il se cherchait des problèmes pour de l'attention, tout en le mégenrant.

La conclusion était que pour les gens, il était juste une meuf qui cherchait l'attention et dont les problèmes étaient si disproportionnés que cela devait être probablement inventés.

Il essayait de survivre pourtant, via des solutions qu'il savait mauvaises pour lui mais ça tenait un peu malgré que ce soit désagréable. Mais à un moment, il ne pouvait pas se contenter de survivre dans la douleur.

Mit bout à bout, effectivement que c'était normal que Jack parte : c'était une catastrophe. Sa vie ressemblait à un flashback ambulant : les mêmes réactions, les mêmes personnes, l'impression d'être enfermé dans une impasse, l'incapacité à s'accrocher aux mains qu'on lui tendait.

En fait, il coulait juste. Il disparaissait petit à petit dans les profondeurs sombres qui le poussaient à être ce que les autres voulaient qu'il soit, ce à quoi on l'avait "habitué".

Il était censé être une meuf lesbienne, pas un mec trans, gay et neuroatypique. Il était censé être la version qu'on exigeait de lui, pas celle qu'il voulait.

Il se frotta la tête, essayant de ne pas céder à la panique. A cet instant précis, il comprenait à quel point il se détestait, qu'il détestait son corps. Il était censé s'en moquer du regard des autres, ne plus vivre pour eux. Mais ça, il l'avait oublié. Il avait perdu le contrôle de sa vie qui l'emmenait de plus en plus dans les abysses.

En fait, la solution était juste sous ses yeux depuis le début mais il était trop effrayé des conséquences pour les autres qu'il hésitait à y avoir recourt. Jack mit finalement les mots dessus, au même moment où lui-même les murmurait :

_La transition.

Tous deux échangèrent un regard et il vit enfin le visage de Jack qui posa sa main sur son épaule, la pressant avec rassurance. Alex hocha la tête et se projeta dans sa vie. Son histoire qu'il écrivait tant était une continuité de sa vie. Alors s'imaginer en ayant transitionné via ce qu'il écrivait avait quelque chose de rassurant : la solution à ses problèmes étaient la transition avec les hormones. Il y avait pensé déjà, notamment durant le laps de temps entre le moment où il fermait les yeux et celui où il s'endormait -le seul moment où il allait bien. Il devait transitionner pour survivre même si cela impliquait d'autres soucis. Or, son bonheur comptait. Voilà pourquoi Jack devait toujours partir dès qu'il touchait le fond : c'était pour qu'il cherche la solution pour éviter le départ. Alex vivait pour Jack en quelque sorte. Les gens seraient tous pour dire que ce n'est pas sain et pourtant, c'était quelque chose qui fonctionnait puisqu'Alex se battait toujours pour maintenir les relations qui lui importaient. Tous deux le savaient : à un moment, il faut se résoudre à ce qu'il n'y ait plus de solution mais dans leur cas, il y en avait toujours une.

Alex pleura de soulagement, son crâne semblant moins sous la pression énorme qui le tenaillait depuis quelques jours. Il sentit Jack venir se coller contre lui, passant ses bras autour de sa taille et posant sa tête sur son épaule.

Voilà pourquoi Alex écrivait : pour continuer de vivre, pour être heureux. Parce que son bonheur résidait dans le fait d'écrire une histoire qui importait et qui l'aidait à suivre la voie qu'il voulait. Et le plus important : cela lui donnait le courage de l'appliquer dans la vraie vie.

Son histoire était une extension de lui que son entourage se devait d'accepter si ils le comprenaient.

_Je reste, murmura Jack contre lui alors que son corps était parcouru de soubresauts tant il sanglotait.

Alex posa ses mains sur le bras de son dernier et le serra doucement en hochant la tête.

Personne ne pourrait comprendre ce qu'il venait de se passer mais pour Alex, ce fut un moment des plus effrayants dans sa vie.

Welcome to my lifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant