Ismaël

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Tout est flou, je ne vois plus rien, je ne sens plus rien.

L'obscurité profonde et terrifiante de l'océan.

Le bruit de la mer déchaînée.

L'éclat jaune d'une bouée.

Le cri d'un enfant qui se noie.

Quelques hommes qui tentent de rester à la surface.

Le grondement du tonnerre au dessus de moi.

Des cadavres. Des cadavres par dizaines. Qui flottent, ballottés par la mer.
Ces visions m'horrifient, je n'en peux plus, je ne veux plus voir toutes ces horreurs, entendre ces cris de douleur !

Le rugissement d'un bateau atteint soudainement mon oreille. Sommes nous sauvés ? Je crie, je m'agite dans les eaux glacées, appelle au secours de toute la force que mon corps possède encore.

Le bateau passe. Un regard de dégoût. Un haussement de sourcils. On détourne la tête et on appuie sur l'accélérateur.

Je m'arrête. Baisse les bras. La faible lueur d'espoir que j'ai cru apercevoir vient de s'éteindre.

Je n'en peux plus. Mon esprit se cabre, rugit devant l'injustice ! Comment peut-on être aussi dénué de cœur ?!

Mais mon corps est fatigué. Si fatigué... le froid m'envahit et engourdit mes membres. Je ne parviens plus à bouger, à lutter. Le gilet de sauvetage autour de moi ne m'est d'aucune utilité, c'était une arnaque, j'avais sacrifié toutes mes économies pour ça, pour rien. Mais à présent quelle importante ? Tout ça n'importe plus puisque je vais mourir. Ça mettra fin à ma vie faite de souffrance... c'est comme ça depuis ma naissance après tout. Je n'ai jamais connu que la guerre et la famine. Quel idiot. Comment ai je pu croire que ce serait si facile, que je pouvais fuir mon pays aussi simplement.

Je me sens sombrer, sombrer dans les eaux noires de la Méditerranée.

Hana. Je revois ton image. Si jeune, si pleine de vie. Je te revois sourire quand je t'offre une fleur. Pleurer quand ton petit chien est mort. Te moquer de moi tandis que je fais le clown pour que tu ne penses pas à notre vie. Crier quand on te disait que tu étais petite.
Je te revois bébé à ta naissance, je te revois grandir. Heureuse d'avoir atteint le seuil de tes 9 ans...
Je te revois morte. Je revois ton cadavre balloté par la mer et sombrer sous une grosse vague.
Je revois et revois ton visage froid et ton corps trempé.
Petite sœur. Tu étais mon amour, tu étais ma vie. Et tu n'es plus.

Je n'ai plus qu'à te rejoindre dans ce cas. Dans l'au-delà.

Ton image m'apparaît. Enveloppée de lumière. Tu me souris, avances vers moi et me murmures à l'oreille : « vie ». Puis tu éclates de ton rire cristallin et tu t'en vas en courant. J'essaie de te rattraper, je crie ton nom mais je suis accroché à ce monde ! Ton rire résonne une dernière fois dans mes oreilles tandis que tu disparais.

Des larmes sortent de mes yeux et se mêlent à la mer.
Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne veux plus que mourir... alors pourquoi toi tu veux que je vive ? Que je vive dans ce monde de merde ?! Ou plus rien de cher à mes yeux n'existe ! Dans un monde que je ne connais pas, dont j'ignore tous les mystères... mis à part la mort.

La mort je la connais trop bien. J'y ai baigné toute ma vie. D'abord la mort de mon père tué au front. Celle de mon meilleur ami écrasé sous les débris d'un immeuble bombardé.Celle de ma mère morte de faim en se tuant pour que nous mangions assez. Celle de tous ces inconnus. Partout. Ou que j'aille des morts. Toujours plus de morts. Ta mort. Ta mort Hana.

Mais... si tu veux que je vive... si tu tiens tant à ce que je vive... alors je veux bien essayer.

Je prends toute la force qu'il me reste et je nage. Je nage pour me tirer de ces eaux glacées. Ces eaux remplies de sang, le sang de tant d'innocents. Mais pas encore du mien.

Le ciel est noir. L'avenir est noir.
La tempête fait rage partout. Mais derrière cette couche de nuages obscurs... se cache un soleil qui attend seulement qu'on le retrouve.

Je voudrais y parvenir. Je voudrais m'envoler loin là-haut et fendre cette couche d'obscurité. L'infini du ciel m'attire.

Et alors... je m'envole. Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive et je ne cherche pas à le comprendre. Mes grandes ailes se battent contre le vent et je monte. Toujours plus haut. Toujours plus loin. Loin des carnages et des horreurs du monde. Des hommes.

Et arrivé au dessus des nuages... le soleil m'éblouit enfin. Je vole. Je vole, je parcours le ciel, le monde, la terre.

- Agréable n'est-ce pas Ismaël ? C'est la première fois que tu le ressens ce sentiment de liberté... mais grâce à moi je peux t'assurer que bientôt chaque moment de ta vie sera aussi beau que celui-ci... si tu te rallies à moi.

Obscur destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant