Kaen

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Je cours. Ça fait un long moment maintenant et je commence à fatiguer, mon sac plein à craquer de l'argent que j'ai volé pèse lourd sur mon dos. Mais je ne peux pas me permettre de m'arrêter, je les entends derrière moi. Un instant de répit signifiera ma mort. Après ce que je leur ai fait, ils n'auront aucune pitié.

Je repère une ruelle sur ma gauche. Je jette un regard derrière moi : ils m'ont presque rattrapée, dans un instant ils seront sur moi. Je fonce dans la ruelle, elle est sombre et sale tant mieux : c'est le genre de lieu où je me sens le plus à l'aise. Un clochard habillé de haillons s'agrippe à mes pieds. Je le repousse violemment en lui donnant un coup de pied dans la mâchoire. S'il y a une chose que la vie des rues m'a appris c'est de ne jamais me laisser amadouer. Qui que soit la personne en face de moi, je ne connais plus la pitié.

Je m'enfonce dans la petite rue jusqu'à en arriver au bout, un mur de pierres m'y attend.
- Merde ! Un cul de sac ! M'écriais-je la panique perceptible dans ma voix.
- Alors on est coincé ? Questionne une voix moqueuse derrière moi. On ne peut plus fuir ?
Je me retourne d'un bond. Le gang que j'ai arnaqué est réuni autour de moi, je ne vois aucune issue. Ça y est, je suis prise au piège. Cela devait bien arriver un jour, j'y avais échappé tellement de fois..
- Si tu crois qu'on va t'faire des fleurs juste parce que t'es une fille tu rêves, ce n'est pas dans nos habitudes de laisser filer les voleurs, dit un homme très baraqué et aux multiples cicatrices qui paraît être le chef, en sortant un couteau.
- Je l'sais bien, répondis-je tout en cherchant un moyen de me sortir de ce pétrin. Et moi ce n'est pas dans mes habitudes de me laisser tuer par un vulgaire gang de bas-étage comme le vôtre. Vous vous la jouez par ce que vous êtes nombreux, mais à un contre un aucun d'entre vous n'aurait sa chance contre moi.
Je les sens rugir de colère autour de moi, on dirait que ma provocation a marché, ils sont vraiment débiles.
- Je voulais te tuer lentement pour te faire souffrir mais j'ai changé d'avis tu as de la chance. Je suis tellement en colère contre toi que je veux te voir morte dès maintenant ! S'écrit le chef de la bande, les autres l'acclament bruyamment.
Je souris d'un air narquois.
- Essais donc un peu pour voir. Dis je en sortant mon couteau de ma ceinture.
- Allez-y je ne pourrais pas supporter son visage une seconde de plus, s'époumone le patron.
À ces mots, trois de ses hommes s'élancent sur moi. J'évite les deux premiers en sautant en l'air et donne un coup de pied dans le ventre du troisième avant de lui enfoncer ma lame dans le cœur.
Je n'ai pas le temps de souffler que déjà deux autres sont sur moi. L'un tente de planter son couteau dans ma gorge, je le pare du mien mais je me prends la lame d'un autre adversaire dans le bras.

J'ai beau me démener comme un diable et donner des coups à tout ce qui bouge, je me retrouve vite en position de faiblesse, entourée de tous les côtés, plusieurs blessures de couteau sur le bras, l'épaule et le bassin. Il faut me rendre à l'évidence: ils sont beaucoup trop nombreux.

Ils me rouent de coups et je me recroqueville sur le sol sale et humide.
Il est clair que je vais bientôt mourir, je m'y attendais depuis longtemps, c'est courant dans le métier et je pensais m'y être faite mais maintenant qu'on y est, que le moment fatidique est venu je vois bien la vérité.
Je ne veux pas mourir. Même si ce monde et ses habitants m'ont rejeté, je ne veux pas mourir. C'est pour ces petits moments de bonheur que je me souviens avoir vécu que... que je veux vivre !

Il me semble avoir crié cette phrase, je n'en suis pas sûre, je ne sens plus rien. Mon corps a tellement mal qu'il ne sent plus la douleur.

Si seulement. « Si seulement », combien de fois ai-je prononcé ces deux mots. "Si seulement j'étais née riche." " Si seulement mes parents ne m'avaient pas rejeté à la naissance." "Si seulement je n'étais pas obligée de voler et tuer pour vivre." " Si seulement une main s'était tendue vers moi." Combien de fois avais-je supplié je ne sais quel dieu de m'aider ? Mais aucun n'était venu. Jamais. Alors j'avais cessé d'y croire.
Mais... à présent pouvais-je espérer une dernière fois ? Faire un dernier vœu ?
Celui d'avoir la force de survivre.

- Aaah ! L'un des bandits se mit à hurler, la main en feu.
- Il brûle !
- Comment est-ce possible ?
- Regardez la fille ! C'est elle, son dos est en feu !
- C'est un démon !
J'avais mal partout, tout mon corps me lançait. Mais je devais faire un dernier effort. Pour survivre.
Je mis un genou à terre, puis un autre et me relevai entièrement, un regard de défi dans les yeux.
J'avançai parmi les hommes qui s'écartaient à mon passage jusqu'à arriver devant le chef.
- Co-comment est-ce possible ? Murmura-t-il terrorisé, toute sa fierté disparue. Tou- tout ton corps flambe comment peux-tu être encore vivante ?
Je l'attrapai par le col, le feu brûlant sur ma main se répandit sur sa veste. Il se mit à gesticuler et à crier dans tous les sens. Mais je restai de glace, le tenant d'une poignée de fer, peu à peu le feu se répandit sur ses vêtements, il lécha sa peau provoquant en lui des hurlements, puis finalement tout en lui ce mît à brûler et je le lâchai enfin, le laissant tomber sur les pavés.
Je me retournai vers les autres.
- A qui le tour ? Questionnai-je, la voix menaçante.
Tous les bandits, soudainement devenus très peureux, s'enfuirent en courant, laissant leur chef agoniser dans la souffrance.
Épuisée, je m'écroulai sur les pavés crasseux, mon sac à côté de moi. Comment était-ce possible ? J'avais demandé de la puissance, j'avais été exaucée.

Tout mon corps flambait et je ne sentais rien. Je devais brûler, pourtant le feu n'était même pas chaud, j'avais l'impression qu'il... qu'il faisait partie de moi ! Il me réconfortait, glissait le long de mon bras comme pour jouer avec moi.
- Bonjour à toi Kaen, chuchota une voix chaleureuse à mon oreille.
- Qui... qui est là ! M'écriais-je en me levant d'un bond et cherchant autour de moi.
- Cela ne sert à rien de chercher, je n'existe que dans ton esprit. Répondit calmement la voix.
- Tu vas me dire que je suis schizophrène aussi ?
- Non absolument pas. J'existe mais je n'ai pas de forme physique. Je suis tout et je ne suis rien. Je suis l'absolu. Et je t'ai choisie Kaen.

Obscur destinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant