- Apep -

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Pas un bruit.
Juste maintenant, le rideau de douche qui griffe le métal. Là, le bruit inaudible de pas mouillés et prudents sur le carrelage de la salle de bain.
Le bruissement d'une serviette dépliée. Celui d'un souffle qui ralentissait.

La jeune déesse épongea sa chevelure bleu nuit gorgée d'eau, absente.
Ses gestes étaient mécaniques, et il n'y avait plus une once de sentiment dans ses iris d'habitude si expressives.
Elle releva la tête vers le miroir embué, et l'essuya d'un mouvement de la main.
Les yeux rouges, les paupières gonflées.

Elle eut bien du mal à soutenir son regard.

Sur le coin de sa joue, les stigmates de la corruption de l'âme qui semblaient avoir bien du mal à s'en aller.
Son regard quitta son reflet pour se porter sur son corps étrangement marqué de ces serpents noirs, qui s'enroulaient autour de sa taille et de ses membres d'un air las.
Elle détailla ces formes qui partaient au niveau de cœur.
Allez, un peu de courage. Ça fait mal. Encore cette manipulation, un peu de ménage, et tout ira mieux.

Quand est-ce qu'elle avait apprit à faire ça ?
La question lui vint soudainement.
Et la réponse la fit déglutir difficilement, réalisant.
Il y a deux ans de ça. Quand tout allait au plus mal.

Alors Maisy inspira un grand coup.
Et après avoir porté les mains vers son torse, elle se mordit la lèvre à sang pour s'empêcher de crier.
Elle extirpa de sa cage thoracique ce qui semblait être une boule de lumière, d'affolant comme des flammes.
Le tumulte de noirceur qui tempêtait au milieu et semblait avaler toujours plus à chaque instant.
Allez, un peu de courage. C'est l'exercice du lotus. Tu l'as déjà fait plein de fois, non ?

Vite, faire vite. Une âme séparée de son corps cause bien des brûlures.
Fermer les yeux. Se concentrer.
Contenir l'amertume. Combattre la colère. Chasser la négativité.
Après un instant à contempler cette âme hideuse, cette masse d'ombre régressa.
Ça y est.

Peu à peu, les marques disparurent.
Rapidement, elle fit rejoindre son âme à son corps.
La bleutée laissa échapper un bruyant soupir, mêlé d'un gémissement de douleur intense étranglé dans sa gorge.
Reprendre son souffle. Fermer les yeux. Se tenir, pour ne pas vaciller.
C'est dangereux, de jouer à ça.
Ça y est.

C'est fini. Elle rouvrit les yeux, se retenant de pleurer.
Pleurer, elle en avait assez. Ça l'avait trop suivi, il y a deux ans.
Alors elle termina d'essuyer son corps humide, venant finalement s'emmitoufler dans la serviette et se mettre en boule dans un coin.
Sa cage thoracique brûlait, et elle sentait son sang pulser contre ses tempes.
Se mutiler l'âme ainsi n'a rien de bon.

Elle attrapa son téléphone en tendant le bras, et tout en essuyant le filet de sang qui coulait du coin de ses lèvres meurtries, composa le numéro d'Hésyrê afin de bloquer une date pour consulter son âme, qui commençait à être couverte de bleus.

En se rhabillant, ses doigts rencontrèrent la cicatrice effilée qui traversait son dos.
Un drôle de frisson dévala sa nuque, et elle ferma immédiatement les yeux.
Ne pas y penser. Ne surtout pas y penser. Sinon, cette manipulation n'aurait servi à rien, et il faudrait recommencer.
Maisy ne veut pas recommencer.
Alors elle se frotta le visage une dernière fois et une fois habillée, elle quitta la pièce, accueillant avec plaisir l'air plus frais du couloir.

On l'interpella. Son frère.
Son frère qui, ayant senti que ça n'allait pas, s'était approché.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

C'est en voyant ses yeux rouges qu'il saisit immédiatement, sans même qu'elle n'ait eut à parler.
Il hocha simplement la tête.

- T'as mit du khôl ? Ça te va bien. Mieux qu'à moi.
Fit-il simplement.

Il lui frotta vaguement le dessus de la tête et s'écarta de sa cadette pour rejoindre les deux divinités dans le salon.
La voix du dieu serpent retentit alors.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Ses yeux sont rouges.

- Elle a pleuré ?
Fit la voix du deuxième dieu, dont le timbre ne laissait paraître aucune émotion.

- Oui. Elle a mit du khôl.

Elle, elle avait disparu dans sa chambre sans faire plus de bruit qu'un serpent glissant dans l'ombre de sa tanière pour fuir un prédateur.
Elle n'écoutait plus désormais, et s'était simplement roulée en boule sur son matelas, le prisme du clair de lune serré contre sa poitrine.

Un soupir triste échappa au dieu des ténèbres qui se leva.

- J'y vais. Ça, c'est ma partie.

Drôle de façon de formuler une vérité dure à entendre.
Les deux alter égo baissèrent la tête simultanément.
Et comme ce n'était pas son habitude de frapper au porte, c'est par un portail qu'Apophis entra dans la chambre plongée dans le noir de la jeune fille.
Seul un mince rayon de soleil timide éclairait la pièce au minimum.
La divinité remarqua tout de suite la présence du prisme. Il la détailla longuement, ne parlant qu'une fois qu'il eut capté son regard.

- Tu as été le voir, c'est ça ?

- Oui et non.
Fit la petite voix étouffée de Maisy, qui baissa les yeux.

- Ça fait deux ans Maisy. C'est fini. Tu devrais lâcher l'affaire.

- Je... je sais mais...

- Alors pourquoi ? Pourquoi tu retournes voir Maël à chaque fois ? Tu te tortures. Je le sais, je le vois. Et j'ai fait les mêmes erreurs que toi. Alors dis-moi juste pourquoi tu continues.

- J'ai prit une décision...

La phrase en suspens, il attendait. Mais rien ne venait. Alors qu'il s'apprêtait à parler, il fut arrêté dans son élan par le bruit d'un sanglot.
Le serpent sentit son cœur se serrer.
Les sanglots, il les connaissait si bien.
Il allait porté une main aux cheveux de sa fille pour lui caresser, mais là aussi fut arrêté par les mots.

- Aujourd'hui... je voulais juste lui dire au revoir en bonne et due forme.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là.. ?

- Papa... j'ai prit une décision. Je ne te demande pas d'être fier de moi. Parce que ça, c'est impardonnable, même pour toi.

Silence.
Il écarquilla les yeux, ne comprenant pas.

- Ça y est... ça y est, je suis libre. J'ai vaincu ma faiblesse !! C'était ce qu'ils voulaient, pas vrai..? Ils savaient que le laisser en vie... ça me ferait plus de mal que de l'avoir tuer... on fait le deuil d'un mort, pas d'un vivant. C'est pour ça qu'ils se sont contentés de lui effacer la mémoire. C'était un châtiment plus cruel qu'on ne le pense.

Elle essuya d'un geste vague les larmes qui dévalaient ses joues.
Elle n'en revenait pas. Elle l'avait fait. Trop tard.
Ça y est.

- Tu l'as tué ?
Demanda le dieu d'une voix incertaine.

- Je n'ai pas eu le courage. Dis papa... un Magai, c'est une imitation ratée, un monstre, une divinité qui n'a pas réussi à prendre sa place... quelque part, j'en suis un, non ?

- Ne dis pas n'importe quoi. Ce sont avant tout des monstres, comme tu l'as dit. Sanguinaires, avides d'âme.

- Ça me rassure... je ne pense pas qu'on peut faire le magai d'un magai...

Là, il retira vivement sa main, abasourdi.
Son regard se reporta sur le prisme.
Et le triste schéma s'était formé.

- Mais on peut faire un magai d'une divinité... même d'un groupe de dieu. Je n'ai pas eu le courage de le tuer. Ni de l'exorciser pleinement. Alors... j'ai fait mon propre magaï... il n'y a que toi et papa qui connaissent mon vrai nom. Alors... il n'y a que toi qui peut lui donner un nom propre.

Elle prit le prisme entre ses mains, et se redressa finalement.
Elle tendit les bras vers son père, l'objet entre ses mains.

- Papa, je te présente Maël. Le Magai d'Apep.

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