Chapitre 14. Le Noël de Léa

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C'était une fin d'après-midi de févier ; comme le dit l'expression de nos montagnes : il gelait à pierre fendre. Léa et Jeannot étaient venus dans l'écurie pour donner du fourrage aux bêtes avant la nuit. L'ampoule électrique éclairait faiblement les bêtes déjà assoupies, tout était calme.

- Léa, il y a une ombre ! fit soudain Jeannot qui recula vers sa grande soeur.

- Une ombre ?

- Oui, comme une tête, au fond vers le pilier.

Léa observa attentivement, elle ne voyait rien ; elle finit par ouvrir la porte de l'écurie quelques instants pour avoir davantage de clarté.

En effet, tout au fond, contre le mur, on apercevait une tête qui semblait faire tout son possible pour passer inaperçue. C'était bien une bête qui était rentrée dans l'écurie.

-Je crois que c'est une biche, Jeannot, finit par dire la fillette. Ne lui faisons pas peur !

Le grand froid avait poussé une jeune biche à trouver un abri pour y trouver un peu de chaleur. Les vaches n'étaient pas inquiètes, cette bête toute menue, c'était un peu comme une réfugiée climatique.

Les enfants s'approchèrent lentement, mais ils durent renoncer, car l'animal semblait pris de panique. Ils laissèrent en évidence un peu de fourrage pour qu'il le voie, et sortirent.

Dans la ferme, le repas du soir fut animé ; le père des enfants leur recommanda surtout de ne pas brusquer les choses, ne pas effrayer la biche et ne pas perturber les vaches. Si elle était venue trouver refuge ici, c'est qu'elle se sentait trop faible pour rester à l'extérieur. Au cœur de l'hiver, certains animaux épuisés, ne trouvant pas de quoi se nourrir, finissent par en mourir.

Le lendemain, une fois rentrés de l'école, Léa et Jeannot filèrent à l'écurie. Ils ouvrirent la porte tout doucement, se glissèrent dans l'ombre des premières vaches pour rester invisibles. La biche était bien là, elle ne se cachait plus. Le fourrage avait été mangé. Jeannot porta à nouveau une brassée de foin et des morceaux de pain qu'il déposa au même endroit.

L'animal observait, resta immobile, ne semblait plus paniqué.

- C'est bon signe, elle a compris qu'on ne lui voulait aucun mal.

- J'espère qu'on pourra l'approcher !

- Oui, mais dans quelques jours si elle reste. Allez, viens, laissons-là !

- Il fait un tel froid, elle va rester. C'est sûr !

Les jours suivants, la biche étaient bien là au milieu du troupeau. Les enfants finirent par lui tendre de la nourriture posée au creux de leur main, elle venait la saisir, repartait tout aussitôt au fond de sa cachette vers le pilier. C'était merveilleux, mais elle restait craintive. Pas question de la toucher.

Enfin, la température se détendit, un soir la biche disparut.

Léa et Jeannot, chaque jour, un peu avant la tombée du jour, observaient la lisière du bois. En vain, l'animal n'apparaissait pas ; la biche, ayant repris des forces, avait rejoint son espace naturel.

- C'est dommage !

- Un jour, elle reviendra peut-être, dit Léa pour consoler son frère.

Celui-ci en avait parlé à l'école, toute sa classe et la maîtresse étaient averties de l'événement. Chaque jour, le garçon faisait un rapport ; une séance de dessin avait même porté sur la biche. Les murs de la salle étaient tapissés comme un livre de conte. Désormais mille histoires pouvaient circuler parmi les enfants.

C'est au début de l'été qu'incidemment l'aventure rebondit, et d'une manière insolite. Un soir que Jeannot jouait vers le puits, il remarqua une silhouette en lisière de forêt. C'est l'heure où les animaux sortent parfois. Il n'y prêta pas vraiment attention.

Les jours suivants, la même silhouette, se plaçait toujours bien en vue, à contre-jour, devant un rideau de sapins. « Mais c'est notre biche ! » finit par penser Jeannot.

Alors un soir, les deux enfants s'approchèrent en lisière du bois. La biche présente ne bougeait pas.

Quand ils furent à vingt pas, elle disparut. Mais elle partit lentement.

-On la suit Jeannot, mais doucement, tout doucement ! chuchota Léa.

Sans bruit, les enfants passèrent le premier rideau de sapins, continuèrent à progresser vers une étroite clairière où le soleil diffusait encore une faible lumière.

Et là ce fut fantastique !

Dans le soleil couchant, la biche se tenait toute droite, un faon était à ses côtés, un tout petit qui restait serré contre sa mère.

-Jeannot, elle est venue nous montrer son petit !

Les enfants venaient de comprendre. C'était leur récompense pour les bons soins donnés à la biche l'hiver précédent. Toute fière, la maman leur présentait son petit.

Et ce fut une soirée comme jamais Léa et Jeannot n'en avaient vécue. Un soir fabuleux !

Il y avait si longtemps qu'ils n'avaient pas ressenti pareil instant de bonheur.

Le journal de l'école, « Le Furet du bois joli », en fit deux pages, Jeannot fut interviewé ; Léa donna un exposé remarqué. La belle saison avait ramené de beaux jours pour les enfants.

Cahier de ContesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant