Chapitre 4. Le Tigre rouge

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L'avion s'était disloqué en trois parties principales, le fuselage arrière resté accroché à l'orée de la forêt, la partie centrale de l'appareil encombrée de débris d'ailes gisait un peu plus en avant, enfin le cockpit et ce qui avait été l'avant de l'appareil restaient enfouis en grande partie sous la neige après avoir labouré profondément le sol sous l'effet du choc.

Le tigre rouge était venu inspecter les lieux, il fureta en grognant vers la partie arrière, puis s'avançant vers l'épave centrale, là il entra par la porte défoncée ; on pouvait l'entendre gratter, arracher. Enfin il ressortit par une partie éventrée où déjà le vent poussait la neige.

La panthère quant à elle était passée à l'avant, elle avait d'abord risqué un oeil par les hublots, attentivement elle observait ce qui devait être à l'intérieur un enchevêtrement de corps et de morceaux de fauteuils ; elle resta à l'extérieur, allant et venant comme pour apprécier la situation dans son ensemble.

Aucun cri, donc aucun survivant, le blizzard avait repris sa course comme pour accumuler au plus vite des congères sur les restes métalliques et les faire disparaître.

Le tigre et la panthère se retirèrent chacun de leur côté. Ils reviendraient quand il le faudrait pour prendre possession de leurs proies.

Soudain, le tigre déjà éloigné d'une vingtaine de mètres, stoppa net sa marche. Il écoutait, attentif, profitant des accalmies du vent, on aurait dit qu'il essayait de percevoir quelque chose d'insolite. Lentement, il revint sur ses pas, parcourut à nouveau l'arrière du fuselage, passa, repassa, attendit. Il écoutait ...

En effet, tout à coup, on entendit comme des pleurs. C'était faible, épisodique, mais c'étaient bien des pleurs de bébé parfaitement identifiables. D'un bond le tigre rouge pénétra dans l'avion, on perçut un remue-ménage indescriptible, des objets devaient tomber, d'autres semblaient être renversés avec rage comme si une force tentait de dégager quelque chose avec grande difficulté. C'est alors que des hurlements jaillirent de l'intérieur, ça dura quelques secondes, puis un silence absolu. Le tigre ressortait de l'avion.

Il tenait dans sa gueule, une petite forme enveloppée d'une couverture rose. S'éloignant de l'épave, il avait déposé précautionneusement son colis devant lui. Doucement, il soulevait de temps en temps un pan de la couverture. Il soufflait légèrement comme peut souffler un tigre, il paraissait chatouiller de sa moustache une forme qui s'agitait à l'intérieur de ce qui était devenu un couffin dans la neige. Le tigre rouge avait découvert un rescapé. Un tout petit rescapé, un petit d'homme. Mais qu'en faire ? Que faire d'un bébé en pareil endroit ?

Au mieux il allait survivre encore une heure et mourir.

La panthère, alertée par le comportement du tigre, était revenue sur les lieux. Elle l'observait, en conclut que la première inspection de l'avion avait été sommaire. Dans la précipitation initiale tout n'avait peut-être pas été révélé. Alors la panthère retourna inspecter le cockpit, reprit son manège, puis regarda à nouveau attentivement par chaque hublot.

Rien, pas âme qui vive. Mais une sorte de visage immobile, les yeux grand ouverts la fixait à travers l'une des vitres. Etait- ce une victime qui avait basculé contre le verre ? Non, ces yeux n'étaient pas immobiles, de temps en temps ils bougeaient, allaient mécaniquement d'un angle à l'autre pour saisir tantôt la panthère, tantôt le tigre rouge. Ce visage était celui d'un vivant.

Le tigre avait compris. Un survivant demeurait à l'avant. Il s'approcha comme l'avait fait la panthère, scruta le visage à travers le hublot. Oui, la forme bougeait légèrement ou faisait semblant d'être un mannequin de cire pour ne pas attirer l'attention ; le tigre avait compris qu'il avait face à lui un passager rescapé.

Comme tout fauve, sûr d'avoir trouvé sa proie, brutalement, il pénétra dans le cockpit, on entendit des hurlements. Une minute après, on vit le tigre sortir un être humain en le tirant violemment par son vêtement. Alors on découvrit là, couchée dans la neige, une hôtesse de l'air qui avait miraculeusement survécu à l'accident.

A demi consciente dans la neige avec son tailleur bleu, impuissante face à cette situation, tétanisée de frayeur, elle attendait le déferlement de la rage du fauve qui allait la déchiqueter pour la dévorer. Perdue, l'hôtesse de l'air ferma les yeux.

Le tigre rouge ouvrit sa gueule pour se saisir de la jeune femme, développant toute sa force, il la tira sur une vingtaine de mètres. Quand il cessa sa manoeuvre, inerte, elle se trouvait allongée à côté de l'enfant. Le tigre rouge, souleva la couverture et la tint ainsi jusqu'à ce que la femme comprenne qu'il y avait là un petit d'homme. Saisi par ce froid glacial soudain, l'enfant s'était remis à pleurer.

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