Chapitre 5. Le Tigre rouge

4 0 0
                                    

Lentement, l'hôtesse se releva, s'assit, elle semblait comprendre peu à peu la situation ; feulant doucement, le fauve recula d'un mètre, recula encore de deux mètres. C'était clair, le tigre rouge souhaitait que la femme s'occupe du bébé. Doucement, elle le prit dans ses bras. Elle regardait le bébé, elle fixait le tigre, il parut hocher la tête, feula encore doucement et se plaça plus loin. La panthère observait à distance ; tout cela, c'était l'affaire du tigre rouge, elle n'allait pas s'en mêler.

La jeune femme finit par se relever, une fois debout, glacée, secouée de frissons, elle tenta de regagner le cockpit en tenant le petit baluchon rose. Le tigre l'accompagnait, surveillait partout à la ronde, puis il regarda par le hublot. Il semblait satisfait. Alors il se coucha dans la neige à quelque distance. Tout ce qui se passerait dorénavant ici relevait de son autorité, la panthère l'avait bien compris.

Heureusement, les placards métalliques de la kitchenette n'avaient pas trop souffert, ils contenaient quelques boîtes de lait maternisé, tout ce qu'il fallait pour nourrir un bébé. Le chauffe-plat, par miracle, fonctionnait encore. L'hôtesse put ainsi préparer un biberon pour l'enfant. Elle pleurait de peur, de joie, de frayeur, quelle était cette situation impossible dans laquelle elle se trouvait ? Quelles étaient les intentions de ce tigre rouge si puissant ?

Seule rescapée avec ce bébé, un temps effroyable où aucun homme ne pouvait survivre, l'omniprésence de ce tigre accompagné d'une panthère des neiges, elle vivait un cauchemar de conte fantastique.

La jeune femme commençait à comprendre que pour survivre il fallait de la nourriture et des vêtements chauds. Passer dans les restes de l'épave pouvait être une solution pour trouver quelque chose. Elle profita alors d'une accalmie du blizzard pour sortir.

Mal lui en prit !

A cet instant l'apercevant, le tigre se mit à rugir comme s'il voulait attaquer. Il était si menaçant que l'hôtesse battit en retraite. Par le hublot, elle observait le fauve. C'était curieux, bizarre, il s'était recouché paisiblement ; elle ne comprenait pas cette demi-sollicitude, ce miracle qui n'était qu'un demi-miracle. Que voulait-il finalement, ce tigre rouge ?

Elle resta deux longues heures à attendre, le bébé s'était endormi. Par le hublot, elle observait longuement le tigre immobile, couché dans la neige. La panthère pour l'instant avait disparu. Et la nuit tombait rapidement. En regroupant toutes les couvertures qu'elle avait pu trouver, la jeune femme avait aménagé pour elle et le bébé un tout petit espace au fond du cockpit. Ils pourraient ainsi passer une nuit confortablement.

Or cette première nuit fut longue et terrible, il neigea encore et encore. Le blizzard compactait cette neige contre les restes du fuselage. Au petit matin, la couche blanche avait dépassé le hublot, la jeune femme ne voyait plus rien à l'extérieur. Alors par la porte, elle jeta un coup d'oeil.

Vers la forêt, le tigre patrouillait, il était toujours là. Elle apercevait sa magnifique fourrure qui ondulait dans la poudreuse ; la peur au ventre elle ne savait pas ce que lui réservait cette nouvelle journée.

Il fallait absolument trouver des provisions, autrement c'était sans délai la mort assurée. L'hôtesse eut alors une idée. Sortir, oui, mais sortir avec le bébé dans les bras. Ce qu'elle fit. Aussitôt le tigre accourut à la vitesse de l'éclair, elle s'apprêtait à se replier dans l'avion. Mais le fauve stoppa net à dix mètres, comme pour ne pas l'effrayer. La jeune femme comprit, il acceptait qu'elle sorte avec l'enfant, sortir sans lui c'était pour l'animal un signe d'abandon qu'il ne pouvait accepter.

Ainsi l'hôtesse parvint à retourner vers l'arrière de l'appareil, repéra facilement le corps de la maman, récupéra ses sacs où il y avait vêtements et provisions. C'était difficile de trier d'une main et de tenir l'enfant de l'autre ; et pas de faux mouvement, impossible de poser l'enfant, le tigre rouge, positionné à proximité, surveillait tous les faits et gestes, allait et venait, sans impatience, mais quelles étaient les limites de la patience d'un tigre ?

Finalement, chargée de deux sacs, la jeune femme regagna son abri dans le cockpit. Elle pouvait tenir plusieurs jours, il y aurait suffisamment de provisions et le bébé paraissait facile à vivre, à cause du froid ambiant, il dormait la plupart du temps et ne pleurait que pour manger.

Le tigre passa cette deuxième journée à proximité de l'avion, l'hôtesse comprit qu'il surveillait particulièrement l'approche des loups. Elle les avait entendus hurler la nuit précédente. S'ils s'étaient approchés probablement que la situation se serait subitement tendue. Comment tout cela allait-il finir ?

Dans cet espace totalement isolé, jamais un homme ne viendrait à passer en cette saison. Se souvenant des cours de survie, elle avait observé un à un tous les instruments de bord, mais aucun ne fonctionnait, tout avait été broyé dans un amas de verre et de métal : plus de radio, pas davantage d'affichage de l'heure ou du jour.

La nuit suivante fut identique à la première, il ne neigea pas, mais le blizzard siffla sans discontinuer.

Au matin, il y eut comme un cri qui retentit au loin, l'hôtesse se précipita vers le hublot. Rien ! même le tigre s'était absenté. Sur la neige, elle avait compris que les sons portaient très loin, ce devait être un animal dans la forêt. Soudain elle perçut une forme noire qui avançait vers l'avion, elle reconnut la panthère. Mais le fauve menait un drôle de manège, avançait, puis brutalement repartait en arrière, disparaissait quelques instants, revenait, et disparaissait à nouveau. C'était intrigant, pourquoi un tel va et vient ?

Le tigre était revenu, s'était positionné sur un rocher assez loin. Lui aussi observait la panthère des neiges. Lui, de sa place, voyait toute la scène. L'hôtesse aurait bien voulu savoir qu'il observait avec tant d'attention.

Toute cette agitation dura bien une demi-heure, enfin l'hôtesse entendit des aboiements de plus en plus clairs, on aurait dit que des chiens approchaient de l'épave. Elle vérifia, la porte était bien fermée, de toute façon, le tigre veillait, elle ne craignait rien. Même en cas d'attaque, des chiens face au tigre ne feraient pas le poids.

Entre les aboiements, elle perçut également les cris d'un homme, des cris de musher pilotant un traîneau. La panthère réapparut, elle courait à proximité d'un traîneau tiré par six chiens, par sa course, elle contraignait l'homme à suivre une direction précise. Le trappeur, le fouet à la main, ne pouvait que s'exécuter, il fixait la panthère, encourageait ses chiens à suivre la direction indiquée. Il n'y avait aucune échappatoire.

C'est ainsi que le traîneau parvint juste à côté de l'épave. Les chiens épuisés s'affalèrent dans la neige. La panthère prit place à l'opposé du tigre et attendit.

L'homme descendit du traîneau.

- Qu'est-ce que c'est ? Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Il parlait sans comprendre ; décontenancé, il avait sous les yeux la scène du crash, mais l'avion aux trois-quarts enfoui sous la neige, il lui fallut un certain temps pour comprendre.

-Ah, c'est le Noairbing 646 qui s'est crashé avant-hier ! ils l'ont dit à la radio. Les pauvres gens, ils sont tous morts. 

Cahier de ContesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant