𝟷𝟺 | 𝚚𝚞𝚊𝚝𝚘𝚛𝚣𝚎

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Bonne lecture !

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Il ne remet pas les pieds au parc pendant deux semaines.

Ce n'est pas beaucoup, deux semaines : il rend quelques devoirs, passe pas mal de temps dans le bureau de la conseillère d'orientation à lui inventer des excuses qui expliquent pourquoi il ne peut pas se rendre dans l'une des meilleures facultés du pays, et est de nouveau invité à la table de poker du propriétaire et cette fois, même si les invités savent qu'il faut se méfier, Spencer arrive encore à gagner.

Sa mère a un peu rechuté, en voyant son fils revenir en larmes et ne pas sortir de la salle de bain pendant un bon moment. Il a regardé le miroir, cette fois, il l'a affronté droit dans les yeux, et a décidé qu'il ne pouvait tout simplement pas trébucher maintenant.

En sortant, après une douche qui a effacé les dernières traces, il a pris sa mère dans ses bras et lui a simplement dit qu'un jour il sera assez grand pour la protéger vraiment. La protéger, et faire en sorte qu'elle, personne ne la lui enlève.

À présent, il regarde le parc et hésite à avancer. Il a passé l'entrée sans même ralentir, à marcher le long du chemin en terre (qui a été recouvert de gravillons), et même s'il est parti confiant et décidé, il s'est finalement arrêté à quelques mètres de la place, derrière la fontaine.

Spencer regarde ses pieds, l'estomac noué.

Il sait que Marc n'est pas loin, que Lucienne est là aussi, qu'il y a le professeur fauché et l'homme de ménage qui vient ces derniers temps. Il sait qu'il y a le plateau d'échecs et les spectateurs peut-être habituels ou peut-être différents. Mais malheureusement, il sait aussi qu'il y aura une chaise vide que les autres laissent là par respect, ainsi qu'un livre qu'il a à la fois envie de reprendre et à la fois plus jamais envie d'avoir sous les yeux.

Il se mord la lèvre fort, comme pour essayer de se reprendre et de se forcer à décider.

— Spencer, entend-il, et cette fois la voix n'a pas l'air étonnée de le trouver planté au milieu de l'allée.

Il se retourne, et son regard tombe sur Simon qui tient un livre entre l'intérieur de son coude et son flanc. Il s'est rasé, mais pas vraiment coiffé.

Les épaules de Spencer retombent, et soudain il est content de le voir là.

— Désolé, je voulais pas te déranger. J'ai appris, pour George, et comme la dernière fois... enfin, je voulais te dire que je suis vraiment désolé.

Il rentre la tête dans ses épaules, et attend de toute évidence sa réaction. Spencer attend quelques secondes, avant de hocher très lentement la tête. Il n'a pas grand-chose à dire, à ce niveau-là, car en vérité pourquoi lui dirait-on quoi que ce soit ? Si on lui demandait sa relation avec George, il ne pourrait rien répondre d'autre que « je jouais aux échecs avec lui, plusieurs fois par semaine ». Ça serait trop long d'expliquer « il est un peu comme ma famille » ou « il est intelligent et bien plus fort que la moyenne aux échecs » ou encore « mon père ne m'a jamais regardé comme ça, et mon père ne m'a jamais laissé parler comme ça, et mon père ne m'a jamais dit que j'étais bien comme j'étais, et mon père n'a jamais eu cet air-là en jouant avec moi ». C'est difficile à dire, alors autant ne pas parler du tout.

Il tente un sourire. Ça ne fonctionne pas trop, car son ventre est tordu de stress. Y aller, ou ne pas y aller : il n'y a que deux solutions, et en voyant son regard se perdre vers la place, Simon semble comprendre.

En tout cas, il se rapproche de Spencer et s'arrête à sa hauteur, le corps tourné dans la même direction.

— Je viens toujours lire au parc, pendant ma pause. Et j'ai entendu dire qu'aujourd'hui il y a une exposition d'art, à deux rues d'ici. L'entrée est libre et on peut entrer et sortir et rester autant qu'on veut...

Sa voix se baisse, et il reste immobile à côté : un silence soudain qui force les pensées de Spencer à se taire petit à petit.

Quand ses yeux se détachent enfin de la place, il s'entend répondre :

— Je voudrais bien voir ça. Je crois que mes connaissances en art sont... presque honteuses.

— Je suis sûr qu'elles ne le sont pas du tout.

— Je n'ai lu que dix-huit livres sur le sujet.

— Que dix-huit ?

Simon sourit, et commence à reculer pour lui montrer le chemin.

— Il faudrait que je t'en apporte, alors. Ma bibliothèque ne vaut sûrement pas celles publiques, mais je ne suis pas peu fier de ma collection.

Et finalement, au bout de quelques pas dans la direction inverse, alors qu'ils s'éloignent du parc, Spencer se met aussi à sourire.

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Des bisous !

Vaste est l'horizon || Spencer ReidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant