𝟷𝟽 | 𝚍𝚒𝚡-𝚜𝚎𝚙𝚝

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Bonne lecture !

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— Marc n'est pas là ?

Le cœur de Spencer s'affole un peu dans sa poitrine lorsqu'il se glisse sur une chaise, perpendiculairement au plateau de jeu. C'est la première fois qu'il n'est pas en face des pièces, mais aujourd'hui il fait beau et aucune table n'est libre.

Il n'y a que Lucienne et Daren, le professeur de sociologie qui a perdu sa maison dans un incendie, et qui apparemment a retrouvé un logement récemment. Il vient toujours, mais moins souvent. Les regards des deux adultes se tournent vers lui, et la main fripée et sèche de Lucienne se pose sur le dessus de sa manche, appuyant doucement. Son expression est toujours plus expressive que sa bouche.

— Oh, Spencer ça fait longtemps. Comment ça va ces derniers temps ?

— Où est Marc ?

Les yeux de Spencer parcourent la place, les quelques tables, les groupes de spectateurs, mais il n'a pas besoin de tout ça pour savoir que si Marc n'est pas à une table, c'est qu'il n'est pas là.

— Il ne te l'a pas dit ? Aujourd'hui, c'est le grand jour.

Lucienne hoche vivement la tête. Spencer fronce les sourcils.

— Le grand jour ?

— Il a un entretien d'embauche. Il est passé tôt ce matin et un gars qui traîne souvent ici lui a proposé de venir prendre une douche chez lui avant d'y aller.

— Un... entretien d'embauche ?

— Ouais. Un vrai boulot, et ils avaient l'air très intéressés. En plus, y'a un appartement de fonction, même si...

Daren grimace, Spencer commence à remuer les pieds sous la table. C'est étrange, d'entendre ça : il s'en veut d'avoir pensé, au fond de lui, que les sans-abris du parc, de la place, resteront ainsi jusqu'à la fin des temps. Qu'ils seront toujours là, presque sous son coude quand il a besoin d'un peu de compagnie.

C'est si égoïste qu'il se mord la lèvre.

— Même si... ?

Il est content, c'est certain. Il est censé l'être, après tout : Marc est son ami, Marc a perdu l'un des siens, et il a enfin une porte de sortie.

— Ça serait dans l'Oregon. S'il est embauché, alors il partira bientôt.

L'air tranquille de Spencer s'écroule, et ses jambes s'arrêtent aussitôt. Pendant deux secondes, tout ce qu'il entend sont des battements affolés, et son esprit est soudain très silencieux.

Il fixe tout d'abord Daren, puis Lucienne.

— Oh, souffle-t-il. D'accord. C'est... c'est très bien. Pour lui, c'est super. Le... le chômage touche 6,7% de la population des États-Unis, et la possibilité d'en sortir décroît largement après dix mois, alors... oui, c'est bien.

Le sourire qui suit est si facile et si sincère qu'il le prend lui-même par surprise. Il ne s'imagine pas rester toute sa vie, et ne peut pas attendre des autres la même chose.

— Il m'a dit que tu lui avais donné le livre.

Spencer n'a même pas besoin de se concentrer pour savoir de quoi il parle. Il y a quelques jours, Marc lui a tendu le guide d'échecs, et en retour il s'est contenté de secouer la tête et de repousser l'œuvre contre son torse. Un petit « c'est pour toi », et Spencer a vu les yeux de l'homme briller.

— Oui.

— Il m'a aussi dit que c'était une sorte de porte-bonheur.

Ça, par contre, ça le fait serrer les dents : il sent son cœur devenir douloureux un instant, et la pensée fugace « il ne lui a pas porté bonheur, à lui ». Ça disparaît rapidement.

Ce n'est qu'un départ de plus.

— Tant mieux, dit-il.

Puis, devant le silence qui s'installe, Spencer se racle la gorge et s'informe d'une voix enjouée :

— Je croyais que Lucienne ne savait pas jouer ? Tu lui apprends ?

— Eh, ouais, petit. Elle est plutôt douée, en fait.

Il regarde les pièces, voit que Daren est tout de même en train de gagner. Sa chaise se décale, son épaule se colle légèrement à la vieille femme.

— Si tu fais équipe avec elle, autant que j'abandonne tout de suite.

Spencer sourit.

— Trouillard.

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Des bisous !

Vaste est l'horizon || Spencer ReidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant