𝟾 | 𝚑𝚞𝚒𝚝

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Bonne lecture !

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— Spencer ?

Les yeux dans le vague, la bouche pour une fois silencieuse, Spencer fait encore plusieurs pas avant de comprendre qu'on vient de s'adresser à lui. Au milieu de la rue un peu déserte, à quelques centaines de mètres de l'entrée du parc devant laquelle il est passé sans s'arrêter.

Spencer se retourne.

Simon lui sourit.

— Hey... ça va ?

L'homme a coupé ses cheveux, depuis la dernière fois. Il ne ressemble pas à un sans-abri, simplement à un gars qui s'habille comme un homme plus âgé : des pulls à carreaux, des chemises, de vieilles lunettes. Un sourire aimable, des cheveux un peu décoiffés. Il est fin, et a l'air maladroit.

Spencer force ses lèvres à s'étirer poliment, mais il n'en a même pas la force.

— Bonjour, soupire-t-il.

Un filet de voix à peine audible, qui force Simon à froncer les sourcils.

— T'as pas l'air en forme. Tu... ne vas pas au parc, aujourd'hui ?

Il a l'air d'hésiter : hésiter à lui demander ce qui ne va pas, à se rapprocher pour poser une main sur son épaule (puis se rappeler tout à coup que Spencer déteste ça), à le laisser tranquille ou à l'obliger à lui raconter dans l'espoir que ça le soulage.

Spencer sait à quoi il ressemble. Il sait que ses cheveux sont trop longs, que ses boucles deviennent ingérables, que ses yeux sont si cernés qu'il ne semble pas avoir dormi depuis trois jours, que sa peau est pâle et que son front est sans doute trop chaud.

Il le sait, alors pour éviter que Marc et George ne s'inquiètent quand Simon leur dira qu'il a croisé Spencer comme ça, il ouvre la bouche pour dire :

— Pas aujourd'hui. Je... je rentre juste chez moi. L'infirmière du lycée m'a dit que je pouvais rentrer.

Il se mord la langue, mais ajoute tout de même (et ça le tire, ça lui broie le ventre de parler de problèmes, de ce qui ne va pas, ça lui donne l'impression d'ouvrir une porte en lui, assez grande pour que quelqu'un entre et bousille tout) :

— Maman ne va pas très bien ces derniers jours, c'est juste une mauvaise passe. Ça arrive.

La première nuit, elle l'a obligé à venir se cacher dans le placard de sa chambre avec elle, persuadée que quelqu'un était entré dans l'appartement pour prendre son fils. Elle l'a tenu dans ses bras en tremblant, si fort que Spencer en a encore des bleus sur le bas de ses épaules.

La seconde, il s'est réveillé en sursaut en entendant la porte claquer, et a dû sortir, en pleine nuit et en pyjama, pour la ramener à l'intérieur. Elle pensait que c'était capital de trouver une supérette ouverte pour lui préparer son déjeuner le lendemain car elle était tellement une mauvaise mère et elle était tellement désolée et seule et je t'aime Spencer tu dois me croire chéri il n'y a personne que j'aime plus que toi. Elle n'est même pas sortie avec un portefeuille, ou même des chaussures.

Il a attrapé froid. Et n'a pas dormi depuis un moment. Et se ronge les ongles de la retrouver mal en point en rentrant à la maison. Parfois, il aimerait vraiment pouvoir... pouvoir utiliser son esprit, son cerveau, afin de trouver un remède. Un vrai remède, pas des médicaments qui lui enlèvent tout, tout ce qui fait d'elle une mère, une femme, et un génie qui adore la littérature et la poésie. Quand elle les prend, elle ne peut même plus lire une ligne, et peine à se souvenir de l'endroit où sont rangés les couverts.

C'est dans ces moments-là, que Spencer a envie de pleurer.

— Et toi, ça va ?

Simon fourre ses mains dans ses poches et se mord la langue, comme s'il s'en veut presque d'avoir demandé ça. Il a l'air d'attendre une rebuffade, ou une fuite. Mais parfois, Spencer a vraiment envie d'être juste un gamin (un gamin qui a envie qu'on s'occupe de lui, qu'on s'inquiète pour lui). Juste un peu.

— Pas trop. Mais je vais dormir et... et boire quelque chose de chaud. Et lire. Ça va aller.

Oui, voilà : ça va aller. Car se plaindre, il en est juste capable pour quelques minutes. Il force un sourire.

— Ne dis rien à Marc et George.

Simon hausse un sourcil.

— D'accord, répond-il. D'accord, je ne leur dirai pas.

— Merci.

Spencer inspire, replace son sac, puis lui souhaite une bonne journée, avant de tourner les talons et de rentrer chez lui.

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Des bisous !

Vaste est l'horizon || Spencer ReidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant