Scènes Coupées | Tome ☆ ☆ : moteur !

09

Cela fait trois jours que Jake est parti et cela me paraît déjà être une éternité. Je crois que l'ignorance doit beaucoup jouer dans ma façon de concevoir le temps. Ne pas savoir quand précisément nous serons réunis, pour combien de jours, quand devra-t-il à nouveau partir et pour quel laps de temps ? Ne pas pouvoir anticiper ou me projeter rend les jours sans lui plus long et douloureux que dans une relation dite « normale ». Je ne sais pas si tout ceci a du sens. Est-ce que Lily me comprendrait si je lui expliquais ? Ou m'engueulerait-elle de ne pas être heureuse chaque seconde de ma vie ?

Comme si cela était possible...

Je balaye d'un geste de la main métaphorique ces pensées qui me troublent. À force de trop les écouter, je risque encore une fois d'être maladroite et de me cogner contre un meuble. Lily en rit, tandis que je désespère de me retrouver avec des petits bleus un partout sur les jambes. Ma peau à la fâcheuse tendance à se marquer assez rapidement, ce qui n'arrange rien. Et avec l'été qui arrive dans quelques jours, il va falloir que je fasse deux fois plus attention à mes rêveries intempestives.

— Tu aurais dû y aller, m'adresse Lily.

Je me redresse après avoir déposé une création florale dans l'une des allées. Lily n'est pas dans mon champ de vision, alors je fais quelques pas et pose mon regard sur elle, assise derrière le comptoir.

Ma meilleure amie, hormis le jour où Jake est revenu du tournage, a eu l'occasion de le voir plusieurs fois durant son séjour chez moi. Entre dîners, après-midi à la boutique et quelques promenades par-ci par-là, elle a pu le connaître un peu mieux. Il faut avouer qu'avant ça, sa relation avec lui s'est résumée à la programmation du voyage à Los Angeles et à la soirée pizza où elle avait plus été concentrée sur Carver que sur lui.

— Toi, tu y serais allée, lui répondé-je.

— En es-tu sûre ?

— Avec toi ? Jamais. Tu es une personne si imprévisible.

Lily lâche un rire, fière de ce compliment qui n'en est pas vraiment un. C'est plus une constatation. J'arrive rarement à prévoir ses réactions, décisions ou émotions.

— Tu aurais quand même dû...

— Et te laisser gérer seule la boutique ? l'interrompé-je. Rien que ce matin, tu n'aurais pas pu le faire sans moi. Les clients se sont enchaînés les uns après les autres.

— J'ai bien réussi quand tu es partie à Los Angeles.

— C'était une période creuse, lui rappelé-je. Je ne peux pas te laisser seule, encore moins pendant trois semaines.

— J'aurais embauché un stagiaire ou un intérimaire.

— Ah oui ? Et avec quel argent ?

Lily ouvre la bouche, s'apprêtant à me contredire, avant de finalement se raviser. Pour une fois, j'ai le dernier mot et ça fait plaisir. J'en profite d'ailleurs pour arborer un sourire fier sous son nez.

— Et combien de temps pourra-t-il rester la prochaine fois ? m'interroge -elle.

Lily me jette un regard et je hausse des épaules. Je ne lui ai pas demandé, je crois que j'avais peur de la réponse qu'il aurait pu me donner. Je pense que je n'étais pas non plus d'humeur à réaliser que notre temps serait peut-être plus court que ces deux semaines passées ensemble. Je tourne le dos à Lily, prétextant une tâche, et je perds mon sourire pour la centième fois depuis le départ de Jake.

— Heureusement, ajoute-t-elle d'une voix excitée, l'avant-première ce n'est que dans dix jours. Tu penses que tu pourras le voir ? Je veux dire, de façon rapprochée ?