Chapitre cinq | L'éveil

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Andréa avait du pain sur la planche, c'était le moins qu'on puisse dire. Face à elle se trouvait une pièce inutilisée depuis des mois par le bataillon d'exploration, où s'entassait des meubles cassés et autres objets abandonnés pour des raisons qu'elle ne comprenait pas. Un dépotoir. C'était l'unique terme adapté à cette décharge, où la poussière créait une couche fine sur le sol, alors que les toiles d'araignées serpentaient le plafond, telles des guirlandes de soie ; elle aperçut une souris courir le long du mur et tiqua face à ce spectacle plus que désolant. « C'est ici que tu travailleras » lui avait dit le major. C'était fort gentil de sa part de lui déléguer une salle pour ses travaux, seulement, elle ne s'attendait pas à trouver un tel désordre.

— Et le maniaque du ménage pouvait pas passer par là des fois ? Pensa la jeune femme à voix haute, désabusée par l'ampleur du ménage qui s'annonçait.

Son « infirmerie » était attenante aux écuries, derrière celle où elle avait soigné les rescapés de l'incident d'Utgarde. Hange avait été surprise d'apprendre l'existence de cette mansarde, et elle ne devait pas être la seule vu le manteau d'escarbille. Les rayons du soleil filtraient à travers les vitraux, si bien qu'elle distinguait des traînées de résidus dans l'air, flottant à la manière de petites lucioles. Sans parler l'odeur de renfermé et de ce mobilier à moitié moisi... Décidément, les étoiles refusaient de s'aligner en son honneur – pourtant elle n'était pas superstitieuse, mais à force de mésaventures, elle se demandait si quelqu'un ne lui avait pas jetée une malédiction. Il n'y a qu'eux pour pouvoir me honnir de la sorte... songea la thérapeute en retroussant ses manches.

Ses journées promettaient d'être fatigantes, surtout que Mike ne s'était toujours pas remis de son traumatisme. Elle craignait avoir échappé à un détail, une lésion invisible à l'œil nu, et si jamais après tous ses efforts il ne se ranimait pas, Carstein devrait faire face à la colère des soldats. Tapie dans sa grotte, elle savait plus ou moins que certains la comparait à un sorcier sorti des bois ; les croyances populaires hantaient mêmes les corps armés, c'était une réalité trop souvent oubliée. Une grande partie des guerriers venaient des « Terres froides », ces territoires reculés dans l'enceinte des Murs, où les légendes circulaient à foison et il n'était pas rare de voir des soignants se faire chasser des patelins parce que les habitants imaginaient qu'ils allaient ramener le malheur et la terreur.

Les pratiques médicales étaient encore trop peu connues, les convictions quant à elles profondément ancrées, faisaient naître dans le cœur des gens les sentiments les plus voraces : la peur et le doute. Et c'étaient à ces mêmes regards mauvais qu'Andréa devrait rendre compte si Mike ne s'en sortait pas. En y pensa, l'auburn soupira alors qu'elle ouvrait en grand la fenêtre. L'air frais du matin caressa sa figure tandis que les faisceaux de Phébus pénétraient entièrement dans l'hospice.

— C'est parti, pour une nouvelle vie.

Une nouvelle vie. Les mots prirent une toute autre substance lorsqu'elle les extériorisa, si bien qu'elle demeura immobile durant de longues secondes, comme si elle réalisait seulement maintenant que son existence tournait à trois-cent-soixante degrés, vers des horizons inconnus. La perspective lui donnait le tournis, et même temps, cela avait une dimension euphorisante. Andréa finit par reprendre contenance et s'attela à dégager tous les meubles et autres babioles afin de libérer de l'espace. Plus elle bougeait les objets, plus la poussière s'élevait dans l'atmosphère, manquant de la faire éternuer à plusieurs reprises.

— Ils ont de la chance que je ne suis pas allergique, rumina-t-elle tout en évacuant une vieille lampe cassée et une chaise à bascule rongée par les mites.

Dans la cour, Carstein repéra le duo Bertolt et Reiner qui discutaient, assis sur un muret, l'air plongés dans un conciliabule des plus sérieux ; si la cuivrée déménageait ce foutoir seule, elle en avait pour une journée entière, si ce n'était deux jours car elle ne comptait pas faire de nuit blanches pour ça. Qui pouvait-elle bien interpeller ? Un bref coup d'œil sur la gauche lui indiqua que certaines recrues partaient pour le terrain d'entraînement, il lui serait donc impossible de compter sur eux. Tant pis, elle se débrouillerait – ce n'était pas comme si elle avait un jour demandé de l'aide à quelqu'un. Les heures s'écoulaient, le monticule d'outils réduisait et s'amassait désormais à l'extérieur, sans qu'elle sache ce qu'elle allait faire avec ce joyeux bordel. Rien n'était réutilisable, la plupart des appareils avaient été grignotés par des insectes, un tapis avait même moisi, si bien que la jeune femme dut balancer un saut rempli d'acide acétique pour enlever les mauvaises odeurs. Tandis qu'elle s'appliquait à nettoyer les carreaux du vitrail, Andréa ressassa sa discussion avec Erwin et son altercation avec Livai, le cœur chargé de ressentiment.

Nos cicatricesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant